Chouf, la délinquance en contrechamp

Photo du film Chouf © DR

Troisième et dernier volet de la trilogie de Karim Dridi sur Marseille après Bye-Bye et Khamsa, Chouf narre les velléités de vengeance d'un jeune marseillais après la mort de son frère. Le cinéaste dévoile l'âme de son film, qu'il a voulu comme un « contrechamp » à la vision médiatique de la délinquance.

Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de ce film ?

Chouf est le dernier volet de ma trilogie marseillaise. Le premier opus, Bye-Bye, sorti en 1995, m’a permis de découvrir Marseille cinématographiquement. Douze ans après, il y a eu Khamsa. Le film m’avait permis de rencontrer des enfants gitans et des adolescents des quartiers nord. Cette expérience cinématographique fut si forte, si enrichissante humainement, que sept ans plus tard je devais revenir à Marseille pour tourner Chouf.

Pourquoi vous a-t-il semblé important de disséquer les enjeux internes d'un réseau de trafic de drogues ?

Ces enjeux de pouvoirs sont la résultante des guerres fratricides qui ensanglantent les quartiers pauvres de notre pays. La seule perception que nous ayons de cette réalité nous vient des médias. Chouf est le contrechamp de cette vision médiatique. Ce film propose aux spectateurs de passer de l’autre côté du miroir. De mettre des visages derrière ces morts anonymes, de les humaniser.

Le film montre la descente aux enfers d'un jeune homme happé par le milieu. Pourquoi ?

J’ai fait ce film pour parler du déterminisme social qui nous régit tous. Sofiane vient d’une famille unie. Il est aimé par ses parents qui ont tout fait pour qu’il fasse des études supérieures. Ce jeune homme intelligent a tout pour réussir. Ses deux seuls défauts sont d’être d’origine maghrébine et de vivre dans une cité ghetto. Comment s’extraire de son milieu, de sa condition sociale ? Comment résister à la fatalité qu’elle implique ?

« J’ai clairement voulu ancrer mon film dans un genre, entre le western et thriller »

La vengeance est un sentiment fort du film…

Le héros ne cherche pas à se venger. Ce qu’il veut, c’est que justice soit faite, mais il sait que la justice de son pays ne fera rien pour lui. Alors il demande aux amis de son frère de faire justice eux-mêmes et quand il s’aperçoit qu’ils ne feront rien, il décide de faire justice lui-même. Quand il s’aperçoit que cette violence n’est pas faite pour lui, il est trop tard, c’est alors que le piège se referme sur lui.

Pourquoi avoir intitulé le film de cette manière, et non « Caïds », comme prévu ?

Ce mot veut dire « regarde » en arabe, mais aussi « celui qui regarde, celui qui épie », donc « le guetteur, la vigie, la sentinelle ». Avec Chouf, il s’agit aussi de dire : « regarde ce qui se passe dans nos quartiers. Regarde, je vais te montrer quelque chose que tu ne vois pas tous les jours ».

Quel type de narration avez-vous privilégié ?

J’espère avoir réussi un métissage cinématographique. Un mixage entre le film de genre et le film d’auteur qui ne cache pas sa portée sociale et politique. Un équilibre délicat entre divertissement et réflexion. J’aimerais que le film s’adresse à tous. À chacun d’en retirer ce qu’il veut… J’ai clairement voulu ancrer mon film dans un genre, entre le western et thriller. C’est aussi pour ça que j’ai tourné en scope, un des codes de réalisation ample et romanesque du film de genre.