Rencontre avec Katayoon Shahabi, membre du Jury des Longs Métrages

Katayoon Shahabi - Membre du Jury des Longs métrages © Valéry Hache / AFP

Productrice depuis l’âge de 19 ans et fondatrice de l’une des deux sociétés privées de distribution en Iran, Katayoon Shahabi a travaillé avec les grands cinéastes de son pays (Abbas Kiarostami, Asghar Farhadi…). Résolument cinéphile, cette femme indépendante fut aussi la première à se rendre à l’étranger pour la télévision iranienne. Membre du Jury des Longs Métrages, elle nous confie ses impressions sur cette nouvelle fonction qu’elle prend très à cœur. 

Comment abordez-vous votre rôle en tant que membre du Jury des Longs Métrages ?

Je suis ravie et très honorée, et après trente ans de travail dans le cinéma j’accueille cette proposition comme une récompense personnelle. C’est une expérience très enrichissante pour moi et je vais essayer d’être un bon juré, de ne pas faire intervenir mes goûts et mes sentiments personnels.

Comment décririez-vous l’ambiance dans ce Jury 2016 ?

L’ambiance est excellente ! J’ai eu un vrai coup de foudre pour les autres membres du Jury et je me suis tout de suite sentie comme en famille. Même si l’on vient de tous les horizons, de différents métiers du cinéma, cette passion nous réunit. Et George Miller tient son rôle admirablement, il nous dirige mais sans le montrer.

Quels sujets motivent vos choix en tant que productrice ?

J’aime le genre réaliste et je produis beaucoup de documentaires. J’aime le cinéma qui fait réfléchir et qui fait travailler le spectateur, et je déteste rester inactive devant l’écran. Je privilégie les sujets sociaux et surtout je parle des femmes, même si je ne suis pas spécialement féministe. Je considère qu’il est de mon devoir de faire passer un message au travers du cinéma.

Beaucoup de femmes iraniennes actrices et peu de réalisatrices, pourquoi ?

Proportionnellement, nous avons autant de réalisatrices femmes qu’aux Etats-Unis, et tous les niveaux du métier sont concernés, montage, production… Il y a beaucoup de femmes dans le cinéma iranien.

Où va-t-on chercher des financements en Iran quand on veut faire un film ?

Je travaille surtout avec des chaînes de télévision ou des fonds extérieurs, et ce sont toujours des co-productions. Pour le cinéma c’est très compliqué, surtout avec un premier film ou un film indépendant. Donc la plupart des réalisateurs avec lesquels je travaille s’autofinancent, et les acteurs investissent : ils ne sont pas payés et touchent une partie des bénéfices du film. Bref, on s’entraide.

Quant aux documentaires, aucune chaîne iranienne ne les achète. Pour le genre de films sur lesquels je travaille il est presque impossible d’obtenir des financements. Mon dernier documentaire, qui parle de la réaction des iraniens face à l’obtention de l’Oscar par Asghar Farhadi, est sorti en salles, mais c’est très rare. Ça a très bien marché.

Les gens adorent le cinéma en Iran, pour une raison en particulier ?

L’Iran est vraiment un pays cinéphile. C’est l’un des rares pays où l’on voit les files d’attente s’allonger devant les cinémas. Pour notre festival, qui a lieu en hiver, les billets sont vendus immédiatement alors qu’il neige et qu’il fait froid. Mais les gens attendent dehors.

Ce penchant cinéphile tient selon moi à l’histoire de ce pays. La Perse, c’est une culture de la poésie, de la littérature, de la musique, de la peinture. Dans toutes les maisons iraniennes vous avez le Coran mais vous trouvez aussi les œuvres de Hafez, le grand poète perse du XIVe siècle. Notre cinéma est l’héritage de tout ça. Nos galeries d’art contemporain sont réservées pour les deux années à venir à Téhéran : c’est vraiment un pays jeune qui veut s’exprimer, et qui produit beaucoup de choses sur le plan culturel et artistique.

Comment abordez-vous votre rôle de productrice ?

J’ai monté ma propre société de distribution privée en Iran, Noori Pictures. Mais je ressens vraiment ce besoin d’intervenir plus tôt dans un film. Chaque année je me dis que je ne prends plus de films en distribution mais nous sommes seulement deux grosses compagnies de distribution internationales en Iran, et je ne peux pas m’empêcher de penser « Si je refuse le film, que va-t-il devenir ? ».

Je finis toujours par craquer parce que ça me fait mal au cœur. Par exemple, pour Nahid de la réalisatrice Ida Panahandeh (Un Certain Regard 2015), si je n’étais pas intervenue, le film n’aurait pas été distribué. Et même si je n’investis pas dans un film, je donne des conseils, on me sollicite pour ça. En fait je fais aussi le travail de productrice quand je distribue, parce que les jeunes réalisateurs manquent d’expérience.

Un mot sur le Festival ?

La force du cinéma ce sont les spectateurs et en ce sens, je trouve que le Festival de Cannes a très bien évolué, avec l’importance que prend le Marché du Film. Car c’est le Marché qui permet de montrer les films, et un film doit être vu, c’est le principe même du cinéma.