Interview de Mario Sesti : Bernardo Bertolucci vu par lui-même

Photo du film Cinecittà - I Mistieri Del Cinema. Bernardo Bertolucci : No End Travelling © DR

Mario Sesti, critique de films et réalisateur du documentaire Cinecittà - I Mestieri del Cinema Bernardo Bertolucci : No End Travelling présenté à Cannes Classics, nourrissait une belle relation d’estime avec le grand maître. Ce rare témoignage de l’auteur du Dernier Tango à Paris (1972), du Dernier Empereur (1987) et de Beauté Volée (1996) en atteste.

Racontez-nous la genèse du documentaire.
J'ai réalisé plus de dix documentaires, principalement sur le cinéma (deux d'entre eux sélectionnés par le Festival de Cannes, rien ne me rend plus fier): en apprenant à faire des films, j’ai pu explorer une autre façon, particulière, d'être critique de cinéma. Comme je l'ai dit dans le film, j'ai eu le privilège de rencontrer Bernardo Bertolucci à plusieurs reprises. Parler des films et des réalisateurs avec lui était un vrai cadeau. Je voulais faire un film sur lui, rendre hommage à son travail et au souvenir que j’ai de lui, si cher à mes yeux.

 

Quelle relation entreteniez-vous avec Bernardo Bertolucci ?
Le film commence par parler de ma première rencontre avec lui. J’étais journaliste pour un important hebdomadaire, “L'Espresso”. Après l'interview qu’il m’avait accordée à propos de The Sheltering Sky, il a appelé Enzo Siciliano (très proche d'Alberto Moravia, vieil ami de Bernardo et critique littéraire pour “L'Espresso”), demandant plus d'informations "à propos de ce gars qui était un vrai cinéphile", et qui lui avait posé des questions sur les meilleurs déserts de films, de Greed à Lawrence d’Arabie. Ce mec, c’était moi. Depuis, en tant que commissaire du Festival du film de Rome, j'ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises sur scène, avec Patti Smith, Gérard Depardieu, Wim Wenders ou Marco Bellocchio.

Pour vous, en quel sens a-t-il marqué l'histoire de l'industrie du cinéma ?
Peu de réalisateurs ont su marquer, comme lui, les nouvelles tendances du cinéma d’auteur et, en même temps, conquérir Hollywood et remporter un paquet d’Oscars. C’est un peu le rêve de Godard devenu réalité (faire du film d’auteur un film de genre – ou l’inverse). En filmant, il a toujours cherché à révéler quelque chose de caché dans ce que nous appelons la réalité : la caméra est la clé pour ouvrir des portes, et montrer ce que nos yeux ne peuvent pas rencontrer. Il a démontré qu'il s'agissait d’avoir confiance dans la puissance du cinéma, qui permet de rêver d'un grand cinéma « à gros budget » et de grands films « d'auteur ».

Comment réagirait-il selon vous à la projection du documentaire à Cannes ?
Bernardo a grandi à Parme, qui entretient une relation étroite avec son héritage français. Il est devenu un grand amateur de cinéma, aimant beaucoup Godard, Truffaut, Rohmer. Et Cannes a été le point incandescent de sa « connexion française ». Bien sûr, j'aime à penser que, s'il était en vie, il aurait aimé être à nouveau sur un écran du Festival, même dans un film non réalisé par ses soins. En fait, je pense que Bernardo vit toujours, réincarné en un très jeune bébé, qui regarde déjà des films de Godard, Renoir, Ophuls, Rossellini …