Marco Bellocchio interroge son histoire familiale dans Marx peut attendre

Photo du film Marx può aspettare © DR

 

Dans Marx può aspettare (Marx peut attendre), Marco Bellocchio tente de comprendre le suicide de son frère jumeau à 29 ans. Un drame dont il ne s’est jamais vraiment remis. Mélangeant des extraits de ses films et des conversations avec ses proches, le cinéaste enquête sur cette figure fraternelle qui n’a cessé de hanter sa filmographie.

Quel a été le point de départ de Marx peut attendre ?

Une réunion de famille durant laquelle je me suis tout à coup rendu compte qu’un personnage essentiel de cette mosaïque manquait : Camillo, mon jumeau décédé. J’ai décidé d’interroger certains de mes proches et de partager avec eux des souvenirs de cette tragédie. Depuis, certains des grands témoins du film sont morts.

Quel a été votre fil conducteur ?

En travaillant sur cette enquête familiale, j’ai compris qu’il était possible d’entrecroiser à leurs récits mon expérience de cinéaste. J’ai donc eu l’idée d’insérer des fragments de films qui, indirectement, étaient liés à ce qui s’était passé. Même si c’est sous d’autres prénoms, Camillo apparaît dans nombre de mes longs métrages. Ces séquences ont été précieuses car elles m’ont permis de créer la substance de Marx peut attendre.

Pourquoi vous a-t-il paru essentiel de le réaliser à ce moment de votre vie d’homme et de cinéaste ?

Je sentais que c’était le bon moment de transmettre cette histoire aux nouvelles générations de ma famille. Je ne crois ni à l’éternité, ni à l’au-delà. Et si je ne le réalisais pas maintenant, je risquais de ne plus le faire du tout ! Ce n’était pas tant une dette envers mon frère Camillo, mais une nécessité de témoigner, de raconter, d’interpréter cette tragédie personnelle qui m’a heurté toute ma vie. Je l’ai réalisé car j’ai senti qu’il était urgent de le faire.

Comment avez-vous travaillé avec vos proches ?

De manière très libre. La structure est née et a grandi tout au long du processus de travail. La première scène du film, celle de la réunion de famille autour de mon père, date d’il y a cinq ans. Lorsque je leur ai montré la première version du montage, j’ai senti qu’ils étaient très touchés. Il n’y a pas eu de reproches, mais une émotion collective très forte.

Pourquoi était-ce important pour vous d’apparaître à l’écran ?

Pour une fois, il était nécessaire de ne pas me cacher. J’ai senti que pour évoquer cette tragédie dans toute sa profondeur, il était important que j’apparaisse moi aussi au premier plan, et pas derrière la caméra. De cette façon, l’expérience devenait plus radicale, plus totale.

Qu’avez-vous compris de vous-même en réalisant ce film ?

J’ai compris pourquoi je n’ai jamais su répondre à la question centrale de ce film : pourquoi je n’ai pas pris conscience plus tôt de la grande douleur de mon jumeau. C’est une question qui était devenue un tourment, même si je n’avais aucune responsabilité dans sa mort.

La musique est très importante dans Marx peut attendre

Ce sont les compositions du grand Ezio Bosso qui accompagnent presque la totalité du film. Ses musiques ont été d’une grande importance car elles correspondent parfaitement, d’après moi, à la douleur qui traverse cette œuvre familiale. Le choix des compositions s’est fait dans une forme d’intuition et de coïncidence. Avec ma femme, qui est ma monteuse, nous avons effectué un très grand travail de restructuration. Le montage a été très lent. Mais ce fut une étape cruciale pour le film.

Comment accueillez-vous la Palme d’or d’honneur qui vous est décernée par le Festival de Cannes ?

Avec beaucoup de joie et de satisfaction, même si c’est complètement inattendu. Mon expérience m’invite aujourd’hui à aborder mon travail avec plus de certitudes et de tranquillité qu’à mes débuts. Mais je suis très heureux car je caresse l’espoir de continuer à faire des films le plus longtemps possible et une reconnaissance de ce poids sera sans aucun doute très positive pour la suite.

C’est une invitation à vous arrêter pour contempler le chemin accompli…

Mon parcours est long et varié. J’ai arpenté des terrains différents et d’une certaine manière, c’était pour me confronter à l’inconfort et à l’impréparation, deux choses qui m’ont stimulées. Marx peut attendre, c’est encore une nouvelle proposition. C’est un film familial qui rassemble des séquences de ma vie sans emprunter de ligne droite. Pour résumer, le travail ne manque pas et comme disent les catholiques : l’espoir, c’est la santé !

Qu’attendez-vous encore du cinéma ?

Que des histoires naissent, me fascinent, me surprennent et me heurtent, qu’elles soient issues du passé ou du présent. Car le plus important, ce sont les histoires qu’on raconte ! J’aime aussi lorsqu’elles sont plus simples, plus anecdotiques. Rien ni personne ne m’a jamais forcé à faire du cinéma. Mais lorsqu'il y a des histoires qui m’animent, j'aime m’en emparer.