Rafiki, le regard de Wanuri Kahiu

Photo du film Rafiki © DR

C’est avec audace que le Kenya fait sa première entrée en Sélection officielle avec Rafiki. Sa réalisatrice, Wanuri Kahiu, incarne la nouvelle génération du cinéma africain et s’attaque au tabou de l’homosexualité. Dans Rafiki, elle raconte l’histoire de deux lycéennes qui tombent amoureuses en pleine campagne électorale, alors que leurs pères s’affrontent sur le terrain politique.

Comment vous est venue l’idée de ce film ?

J’ai toujours voulu raconter une histoire d’amour moderne africaine. Dans notre jeunesse, nous avons rarement vu des films sur des jeunes Africains amoureux. Nous avons vu des Européens et des Américains tomber amoureux, mais jamais nous. Ce n’est qu’à la fin de l’adolescence que j’ai vu un jeune couple africain s’embrasser à l’écran et je me souviens encore de l’excitation, la surprise et comment ce film a perturbé ma conception de la romance. Avant cela, ce genre de sentiments était réservé aux étrangers.

Dans quelle ambiance avez-vous travaillé ?

Les relations homosexuelles sont criminelles au Kenya avec des peines pouvant aller jusqu’à 14 ans de prison. Ces cinq dernières années, pendant la conception du film, nous avons été témoins du développement inquiétant du climat anti LGBTI en Afrique de l’Est. Certains films nationaux et programmes TV internationaux ont été bannis pour leur contenu LGBTI. On savait que faire un tel film impliquait de défier un cynisme profondément ancré et nécessitait que chaque membre de l’équipe réfléchisse bien à sa décision de faire le film et en parle à sa famille. La plupart ont accepté, un a refusé.
Nous savions aussi que faire ce film nécessiterait la mise en place d’un incroyable espace de confiance, d’honnêteté et de non jugement. La création de Rafiki a lancé des conversations sur l’amour, le choix et la liberté au sein du casting, de l’équipe et de nos familles. Ça nous a appris à parler de liberté, pas seulement de la liberté d’aimer mais aussi de liberté de concevoir des histoires sur des sujets tabous.

Quelques mots sur vos interprètes ?

L’actrice principale, Samantha Mugatsia, n’avait jamais joué dans un film, alors que Sheila Munyiva avait déjà eu un rôle. J’ai trouvé Samantha à la fête d’un ami, elle avait le look et certaines spécificités de Kena, le personnage principal. Après la fête, j’ai pris son numéro et lui ai proposé une audition.

Qu’avez-vous appris en tournant ce film ?

Réaliser ce film a été très gratifiant. La plus grande leçon a été de faire confiance à mon instinct et de m’entourer de personnes qui soutenaient la vision du film sans avoir peur du sujet. A l’inverse d’autres films, il y avait un très grand soutien émotionnel pendant cette aventure et ça nous a rappelé pourquoi il était important d’écrire cette histoire d’amour.

Quel regard portez-vous sur l’industrie du cinéma au Kenya ?

Notre industrie est jeune mais croissante. Cette année, nous avions deux, voire trois opportunités de sorties internationales, ce qui est un gros coup pour notre petite économie artistique. Malheureusement, malgré tous nos efforts et notre respect de la loi, Rafiki a été banni du Kenya.
Une industrie cinématographique ne peut pas prospérer dans un endroit qui ne permet pas la liberté d’expression ou de création, ni dans un endroit qui n’autorise pas son public adulte à voir des films. On espère que cette politique va changer à l’avenir.