Rencontre avec Agnès Jaoui, membre du Jury des Longs Métrages

Agnès Jaoui - Membre du Jury des Longs métrages © Alberto Pizzoli / AFP

Réalisatrice, scénariste, chanteuse, interprète sur les planches comme à l’écran, Agnès Jaoui est une artiste complète. À l’affiche en 2017 pour Aurore, elle remporte le Prix du Scénario en 2004 avec Comme une image. Membre du Jury des Longs Métrages présidé par Pedro Almodóvar, la comédienne nous livre ses impressions sans fard.

Membre du Jury, c’est plutôt fatiguant ou reposant ? Quel est votre stimulant ?

Reposant certainement pas ! Mon stimulant ? Les films, le café un peu. Je vois souvent beaucoup de films, je suis très « filmivore », mais voir tous ces univers, tous ces cinéastes, tous ces films de qualité à la suite, cela m’arrive rarement.

Quelle est l’ambiance dans le Jury ?

Elle est extrêmement amicale et respectueuse. J’avais de l’estime pour tous les membres du Jury et maintenant, cette estime est renforcée. Je les aime encore plus après qu’avant.

Vous appartenez autant au milieu du cinéma qu’à celui de la musique, quelle facette prend le pas sur l’autre quand vous regardez les films ?

Quand un film m’emporte, tout m’emporte. Mais il y en a, comme Billy Elliot par exemple que j’avais adoré, où la musique m’a insupportée. J’aurais voulu me boucher les oreilles mais c’était difficile car je n’aurais plus entendu les dialogues. Parfois je lutte contre une musique qui m’impose quelque chose dont je n’ai pas envie. Et parfois, certaines musiques m’emportent complètement. J’y suis très sensible.

 

Quel cinéma vous émeut ?

Je suis assez ouverte, j’aime tout sauf les films d’horreur et la plupart des films d’action. Et maintenant, aussi, les scènes de sexe, qui me font autant d’effet que les cascades, par-dessus, par-dessous… Sauf quand il y a de l’inventivité bien sûr !

 

Vous êtes un peu à l’origine du film choral, un genre où plusieurs protagonistes tiennent le premier rôle, est-ce une formule qui vous séduit encore ?

Beaucoup. Quand on écrit avec Jean-Pierre Bacri, on n’arrive pas à s’empêcher de créer de nombreux rôles. On commence par nous deux dans l’histoire, puis très vite, viennent d’autres personnages. Pour le prochain film, on sera soixante alors vous voyez…

 

Le film choral par excellence en somme…

C’est ça ! Là, le prochain projet prend vie pendant une fête. Jean-Pierre Bacri y joue un animateur de télé célèbre un peu sur le déclin. Quant à moi, je joue une vieille gauchiste.

 

Etes-vous plutôt émotionnelle ou intellectuelle dans votre approche du cinéma ? 

Ce qui manque souvent dans les films, c’est le sens. Je vois des œuvres génialement mises en scène qui me donnent envie de dire au cinéaste : « Achète- toi un cerveau, que veux-tu nous dire ? ». Je ne demande pas à voir une thèse d’Hannah Arendt à chaque fois, mais au moins que le scénario existe ! Je ne veux pas sortir en disant « So What ? » (Je fais un aparté en anglais parce qu’on parle anglais dans le Jury…). En résumé, il y a souvent beaucoup d’instinct et aucune réflexion, je me sens manipulée et ça me met en colère.

 

Vous êtes orpheline d’Alain Resnais, quels sont vos souvenirs de cette période où vous tourniez pour lui ?

Le premier rendez-vous. On jouait Cuisine et dépendances dans un petit théâtre de 250 places (le théâtre La Bruyère) avec Jean-Pierre Bacri, ça marchait très bien, et Alain Resnais nous appelle pour nous rencontrer. On était à deux doigts de penser que c’était un canular. On le reçoit chez nous à Bastille, et apparait un grand jeune homme intimidé, le comble… Il entre avec une pile de textes car il voulait que l’on fasse l’adaptation de Smoking/No Smoking, et cela représentait deux heures de pièce. La bouche sèche, il nous raconte son projet et je me dis : « Si je ne savais  pas qu’il s’agit d’Alain Resnais, je penserais qu’un fou vient de nous proposer quelque chose qui ne se fera jamais ». C’était lui le jeune homme moderne,  nous on était deux vieux (on avait alors la vingtaine) !

 

Il était d’une délicatesse et d’une politesse qui ne l’ont jamais quitté. J’ai de très beaux souvenirs de dîners chez lui avec Pierre Arditi, André Dussolier… D’une réconciliation entre talent et humanité… J’ai connu tellement de personnes talentueuses sans humanité. Alain Resnais m’a fait réaliser qu’il était possible d’être aussi merveilleux que ses œuvres. Cette période a été extrêmement heureuse.

 

Je n’ai pas eu le temps de vous demander où en était votre thèse sur les chevaliers-paysans de l'an mil au lac de Paladru !

Je vous le dis si vous me donnez la marque de vos chaussures !