Rencontre avec Chang Chen, membre du Jury des Longs Métrages

Chang Chen - Membre du Jury des Longs Métrages © François Silvestre De Sacy /FDC

Révélé en 1991 à 14 ans dans Une belle journée d’été, d’Edward Yang, Chang Chen a accédé à la renommée internationale en 2000 avec Tigre et Dragon, le long métrage culte d’Ang Lee. Il a ensuite travaillé sous la direction de plusieurs figures du cinéma asiatique, de Wong Kar-wai à Hou Hsiao-Hsien, en passant par John Woo. Chang Chen revient sur son début de carrière et ceux qui l’ont influencé.

Qu'est-ce qui vous a poussé à faire du cinéma ?

Mon rêve n’était pas de devenir acteur. Mon père l’était également et quand j’étais petit, il était souvent absent. Je ne savais jamais où il se trouvait. Quand vous êtes acteur, vous pouvez vous absenter pendant deux mois et vous ne voyez votre famille que très peu de temps entre chaque tournage. Mais après avoir tourné mon premier film, j’ai été finalement plus enthousiaste à l’idée de suivre ses traces. Je me sentais bien dans le milieu du cinéma. J’adorais tout spécialement l’atmosphère sur les plateaux et la manière que les gens avaient de travailler tous ensemble. Ensuite, j’ai eu mon bac. C’est à ce moment-là qu’Edward Yang m’a demandé si je voulais participer à son prochain long métrage.

Quel souvenir gardez-vous de ces premiers pas ?

Comme je n’avais pas fait d’école, Edward Yang a souhaité qu’avec d’autres acteurs, nous prenions des cours. Nous avons suivi une soixantaine d’heures de cours sur une période de 3 ou 4 mois. Ils étaient très basiques, on nous apprenait surtout à adopter la bonne gestuelle. Mais il ne s'agissait que de théorie et sur le plateau, tout était complètement différent. Edward Yang m’a demandé de bien lire le script et de jouer avec logique. Il aimait discuter du rôle avec moi. C’était difficile parfois, mais j’ai eu la chance de jouer avec mon père sur ce film. Cela reste donc une bonne expérience. À cette époque, je n’étais pas encore certain de vouloir embrasser une carrière d’acteur. J’adorais certains aspects du métier, notamment celui de pouvoir enfiler le costume d’une autre personne.

C'est le film d'Ang Lee, Tigre et Dragon, qui vous a consacré au rang de star. De quelle manière avez-vous préparé ce rôle très physique ?

Tigre et Dragon était mon 4e film. Je savais qui était Ang Lee mais à cette époque, je ne savais pas que ce film allait devenir culte et faire de moi une star. J’ai dû beaucoup me préparer physiquement pour ce tournage. Ang Lee aime les expériences collectives et pour cette raison, toute l’équipe a vécu ensemble pendant deux mois avant de débuter le tournage. Chaque jour, nous avions des entraînements de kung-fu, des réflexions sur le script et des entraînements pour apprendre à monter à cheval. Nous avons tourné le film dans le désert. Avec l'équipe, nous nous arrêtions dans des chambres d’hôtes. En général, c’était une trentaine de voitures qui se déplaçaient en même temps. Il n’y avait pas de route et une nuit, une voiture s’est perdue.

Wong Kar-wai a été un maître pour moi.

Vous avez ensuite travaillé avec deux autres grands noms du cinéma taïwanais : Wong Kar-wai et Hou Hsiao-Hsien. Comment ont-ils influencé votre jeu d'acteur ?

J’ai adoré tourner avec ces deux légendes du cinéma asiatique. Particulièrement avec Wong Kar-wai, qui a été un maître pour moi. Il m’a donné beaucoup de conseils pour mieux appréhender le métier d’acteur. Je me souviens d’une anecdote du tournage d’Happy Together, que nous avons tourné en Argentine. Un jour, il me convoque dans son bureau et me passe une chanson en me disant : « Imagine que cette chanson est la tienne ». Je me suis demandé ce qu’il voulait me faire comprendre. Aujourd’hui, je me rends compte comme ce conseil a été l'un des plus importants de ma carrière car j’essaye depuis de toujours dénicher ce genre de références pour mes rôles, que ce soient des peintures, une couleur ou une photographie.

Wong Kar-wai vous a incité à vous libérer ?

Oui, en quelque sorte. Avec Wong Kar-wai, il s’agit de danser avec la caméra. Vous devez être en relation avec elle. Tourner avec lui, cela peut être une expérience très abstraite. Avec Hou Hsiao-Hsien, vous êtes plus libre. Il vous donne un cadre bien défini et ensuite, vous pouvez vous déplacer comme vous le souhaitez à l’intérieur et improviser. Parfois, Hou Hsiao-Hsien ne nous donnait pas les dialogues de la scène que nous tournions et nous pouvions ainsi dire ce qui nous passait par la tête. Parfois, nous ne savions même pas où était la caméra, ni même s’il avait dit moteur ! Chacune de ces deux méthodes de travail m’ont influencé et fait progresser.

Quel rôle a le plus marqué, puis changé l'homme que vous êtes ?

Mon rôle dans Eros, le segment réalisé par Wong Kar-wai en 2004 pour le film à sketches La Main, est celui qui m’a le plus changé en tant qu’homme. Lorsque vous arrivez entre 25 et 30 ans, en Asie, c’est embêtant parce que vous ne savez jamais si on va vous faire jouer un lycéen ou un homme. À cette période, je n’obtenais que très peu de rôles et je crois que celui que m’a proposé Wong Kar-wai a fait de moi un homme. Il m’a fait réaliser qu’il me faudrait changer physiquement et mentalement si je voulais relancer ma carrière. Je me souviens que Wong Kar-wai avait tenu à refaire l’une des prises de la fin du film car il n’était pas satisfait de ma façon de marcher. Ce jour-là, il m’a dit que courir et marcher étaient deux choses très importantes pour un acteur. Après cet épisode, j’ai commencé à beaucoup observer les autres acteurs et à lire énormément.

Vous êtes passé derrière la caméra en 2014, pour réaliser un segment de Three Charmes Lives. Qu'avez-vous retenu de cette expérience ?

Devenir réalisateur a toujours été un rêve ! J’ai voulu faire un court métrage pour pouvoir toucher à tous les aspects de la réalisation. Cela m’a beaucoup plu. J’ai pour projet de faire un film, mais je n’ai encore rien de concret en tête. Pour l’heure, je tourne beaucoup en Chine. Je termine actuellement le tournage d’une comédie romantique réalisée par Wing Shya.