Rencontre avec Khadja Nin, membre du Jury des Longs Métrages

Khadja Nin © François Silvestre De Sacy /FDC

Ses chansons, mêlant pop occidentale et rythmes afro-cubains, l’ont portée jusqu’à la renommée internationale. À 58 ans, la chanteuse burundaise Khadja Nin s’est aujourd’hui écartée du devant de la scène pour défendre les causes politiques qui lui tiennent à cœur. Louis de Funès, Jeanne Moreau et le cinéma africain : Khadja Nin évoque sa vision du cinéma.

Dans quel état d’esprit abordez-vous votre rôle de juré ?

De façon très studieuse : j’en suis à mon sixième film ! Pour moi, faire partie de ce jury est un cadeau tombé du ciel. Quand on m’a proposé d’être l’un des huit jurés de cette 71e édition, j’ai d’abord cru à une blague. J’ai évidemment accepté tout de suite. Je n’ai aujourd’hui toujours pas compris pourquoi j’ai été choisie ! C’est un grand honneur et une très grande marque de respect, car la Palme d’or est un prix qui compte dans la vie d’un film et d’un réalisateur. Je prends mon rôle très au sérieux.

Quel critère allez-vous défendre le plus ?

Je vais défendre les émotions. C’est un point commun très important à tous les membres de ce jury. On m’a demandé de ne pas juger les films sur leurs aspects techniques, mais sur deux choses très accessibles pour moi : l’émotion et les sentiments. Certes, les critères techniques devront ensuite départager les oeuvres qui nous auront le plus touchées. C’est à ce moment-là que les professionnels du cinéma présents dans le jury devront s’exprimer.

Remontons le temps : quel a été votre premier choc de cinéma ?

J’allais beaucoup au cinéma quand j’étais jeune, avant de quitter le Burundi. Avec mes amis, on n’avait pas d’argent, alors on baratinait l’ouvreur du cinéma que l’on connaissait bien. Il avait peur qu’on lui attire des ennuis. À force, il nous laissait rentrer mais parfois, on manquait le début du film car il fallait négocier notre entrée longtemps. Je voyais beaucoup de longs métrages français, de westerns et de films de Kung-fu. J’adorais tout particulièrement les films de Louis De Funès, qui est un géant du cinéma. Il a joué ce même rôle de chef irascible toute sa vie, mais cela fonctionnait ! Charlie Chaplin m’a aussi beaucoup éblouie. Ce sont des géants.

Le cinéma ne vous a jamais tenté ?

Si, mais on ne m’a jamais rien proposé ! La période actuelle a l’air plus propice. En plus de Cannes, j’ai été invitée au festival du film de Zanzibar, qui a lieu en juillet. Je crois que le cinéma me fait un appel du pied !

Jusqu’à présent, Jeanne Moreau est votre seul lien avec le cinéma. C’est elle qui, en 2000, a réalisé le clip de votre morceau intitulé « Mama ». Comment s’est nouée cette collaboration ?

C’est effectivement le seul lien entre le cinéma et moi, mais quel lien ! À l’époque, elle venait de réaliser des clips pour Air France et je les avais trouvés très beaux. Je suis allée voir ma maison de disque pour leur demander de contacter Jeanne Moreau. Tout le monde a bien ri et m’a rétorqué : « Et pourquoi pas Spielberg, tant que tu y es ! ». Mais elle a tout de suite accepté. Elle m’a écrit un texte magnifique que je n’oublierai jamais. Pour moi, elle représentait la liberté. C’était une femme libre de penser et avec le privilège de l’âge, elle l’était encore plus. C’était un modèle. Je suis très heureuse car c’est le seul clip qu’elle n’ait jamais tourné.

La génération de cinéastes africains est très créative, debout et fière. Il faut juste lui donner les moyens d’aller de l’avant.

Qu’est-ce qui rapproche le plus le cinéma de la musique, selon vous ?

La création ! Le cinéma et la musique sont aussi deux conteurs d’histoires exceptionnels, même si le canal est différent. Cela dit, le cinéma a davantage besoin de la musique que le contraire. Que serait le cinéma sans la musique ? C’est l'un des acteurs majeurs d’un film.

Vous avez mis de côté votre carrière de chanteuse pour vous consacrer à des causes politiques, comme la parité entre hommes et femmes. De quelle manière pensez-vous que le cinéma peut contribuer à changer les choses ?

Les pistes pour rééquilibrer les choses sont nombreuses. Et le cinéma constitue l’une d’entre elles. Il peut jouer un rôle essentiel en sensibilisant, en racontant des histoires qui font prendre conscience aux spectateurs ce qui se joue. Mais rien ne sera jamais plus efficace que l’éducation des enfants.

Le cinéma n’est pas assez militant selon vous ?
Il faut encore que ce type de cinéma soit distribué. Et les obstacles sont nombreux.

Quel état des lieux peut-on dresser au sujet du cinéma africain actuel ?

Il regorge d’histoires universelles à raconter, et pas seulement d’histoire afro-africaines. En Afrique Subsaharienne, les réalisateurs souffrent d’un manque de moyens, de budget, d’aides au cinéma, mais aussi de lieux de formation aux métiers de cinéma et de salles de cinéma ! Il n’en existe presque plus dans les capitales. En Afrique du Nord, les cinéastes sont un peu mieux accompagnés. Tous les acteurs de l’industrie doivent se fédérer pour faire comprendre aux gouvernants que la culture, et notamment le cinéma, sont des leviers essentiels. Les artistes sont des ambassadeurs très importants. Mais j’ai bon espoir car la génération africaine est très créative, debout et fière. Il faut juste lui donner les moyens d'aller de l'avant.

Lors de la conférence de presse du Jury, vous avez évoqué la situation complexe des actrices noires françaises, qui font face à des discriminations. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Seize actrices noires françaises ont publié un livre-manifeste de témoignages affligeant et honteux. Elles souffrent déjà de tout ce que les autres actrices endurent sur le plan international. Mais en plus, elles sont noires… et récoltent au quotidien un lot de réflexions inacceptables sur la couleur de leur peau. Elles seront toutes sur le tapis rouge le 16 mai grâce à l’initiative d’Aïssa Maïga.