Rencontre avec Maren Ade, membre du Jury des Longs Métrages

Maren Ade, Membre du Jury des Longs Métrages © Anne-Christine Poujoulat / AFP

Réalisatrice méticuleuse et entièrement dévouée à ses personnages, Maren Ade a confirmé toute l’étendue de son talent lors du dernier Festival de Cannes avec Toni Erdmann, une comédie dramatique décrivant les liens distendus entre un père facétieux et sa fille. Remarquée pour la sensibilité de son cinéma et sa justesse à décrire les fêlures relationnelles, la cinéaste allemande évoque sa méthode de travail.

L’immense succès de Toni Erdmann a débuté ici, à Cannes. Comment avez-vous vécu l’année écoulée ?

Les mois qui ont suivi la projection à Cannes ont été incroyables. Les louanges adressées au film durant le Festival ont beaucoup contribué à son succès. Au bout du chemin, il y a eu cette tournée dans les cinémas pour le présenter et ces rencontres avec les spectateurs. Le plus important, c’est que les gens se soient approprié le film.

Beaucoup l’ont présenté à tort comme une comédie…

Les spectateurs se rendent avec moins de réticence au cinéma quand vous leur dites qu’un film est drôle ! Cela dit, il y a bien ce personnage du père qui fait des blagues en désespoir de cause. Mais le fond du film a toujours été le drame. Durant sa réalisation, j’ai cependant pris soin de traiter ces deux aspects de façon équivalente. Je suis contente que cet entre-deux ait été perçu par le public.

Quelle est la meilleure manière de ne pas rater un film ?

C’est d’être honnête avec soi-même ! Pour ma part, j’ai également besoin de m’entourer d’un cercle de confiance – producteur et amis réalisateurs – qui soit assez honnête pour me dire quand un passage de mon film doit être amélioré. C’est avec ce genre d’état d’esprit autour de moi que j’aime travailler. J’invite toujours mon entourage à s’ouvrir à moi.

L’honnêteté se perd parfois avec le succès…

C’est en effet souvent l’un des revers de la médaille. En ce qui me concerne, la période de gestation de mes films est tellement longue qu’elle me permet de rester à l’écart de ce travers. Par ailleurs, j’ai un besoin vital de ces temps de rupture avec le monde du cinéma entre deux films.

Vos personnages sont toujours très fouillés, décrits avec profondeur…

Toute mon attention est dédiée aux personnages. Je prends toujours beaucoup de temps pour explorer les liens qui les unissent ou qui les séparent. C’est toujours de ce travail que naît l’intrigue de mes films. Pour Toni Erdmann, j’ai couché sur le papier énormément d’idées sur la relation entre ce père et sa fille. Petit à petit, une intrigue s’est tissée autour de leurs liens. En surface, ce qui se passe dans Toni Erdmann est tout à fait banal. Ce qui était intéressant, c’était donc d’imaginer un autre niveau d’entrée dans l’histoire. J’ai donc eu l’idée de ce père qui se déguise de façon inattendue et provoque des situations qui révèlent sa relation avec sa fille.

C’est donc à la narration de s’adapter aux personnages, et non l’inverse ?

La caméra est secondaire. Elle doit se contenter de suivre les personnages. Bien-sûr, décider de ce que fait la caméra et à quel moment, c’est très important car ces choix donnent au film une perspective, une narration et une place au spectateur. Mais si un acteur a le sentiment que la scène doit être tournée autrement ou à un autre endroit, je prends toujours son avis en considération.

« J’aime préserver la pureté du jeu des acteurs pour le tournage »

Vous êtes proche de vos acteurs ?

Nous apprenons à nous connaître au cours d’un long processus de répétitions que j’aime installer en amont du tournage. L’objectif est de trouver un langage qui nous permette de travailler ensemble, et pas forcément de répéter le script car j’aime préserver la pureté du jeu des acteurs pour le tournage.

Est-ce difficile, quand on est cinéaste, de trouver un équilibre entre son univers et la nécessité de se renouveler ?

Je n’ai jamais vraiment eu à réfléchir à cette notion de renouvellement de mon travail. Pour la simple et unique raison que mon langage cinématographique est le résultat de mon travail sur les personnages. Je suis tellement concentrée sur leur comportement, sur leur richesse, et sur mon ambition de créer une construction narrative qui soit ouverte et précise…. Pour Toni Erdmann, j’avais simplement envie de travailler ce genre qu’est la comédie, mais avec mon propre langage.

Vous êtes également productrice. De quelle manière cela a-t-il bénéficié à Toni Erdmann ?

J’ai bénéficié d’une très grande liberté pour mener ce projet. Si j’avais raté ce film, cela aurait été entièrement de ma faute. La solution, pour ne pas rater un long métrage, vient donc en partie de la manière dont il est produit. Cela fait ensuite du projet un objet plus intéressant. Pour Toni Erdmann, j’ai même pu rajouter trois jours de tournage pour remplacer ceux qui avaient été moins productifs. Je souhaite à chaque réalisateur d’avoir autant de confort. C’est aussi une question de mentalité.

Comment faire en sorte que davantage de jeunes femmes passent derrière la caméra ?

Je pense qu’il nous faut travailler sur des quotas pour que les femmes aient autant de chance de se voir attribuer des fonds. Pendant longtemps, j’ai été sceptique sur cette question car dans l’art, c’est avant tout le projet qui doit faire la décision. Mais je pense que la mise en place d’un quota équitable, évalué à la mesure de chaque industrie, doit être testée. Au moins durant quelques années, pour que soit mis un point final à ce débat. Peut-être avons-nous aussi besoin, nous autres réalisatrices, d’être davantage encouragées.