Rencontre avec Pawel Pawlikowski, membre du Jury des Longs Métrages

Pawel Pawlikowski - Membre du jury des Longs Métrages © Stephane Cardinale / Getty Images

Il y a un an, Cold War, somptueux mélodrame en noir et blanc inspiré de l’histoire de ses parents, avait charmé le jury de Cate Blanchett, qui lui avait décerné le Prix de la Mise en scène. Alors qu’il vient de rejoindre le Jury des Longs Métrages de cette 72e édition, Pawel Pawlikowski évoque la singularité de sa méthode de travail.

Comment vous vient l’idée d’un film ?

Je développe deux ou trois histoires inspirées de personnages que j’ai connus, de situations vécues ou qu’on m’a rapportées, d’une émotion, et j’attends, à force d’écriture, ce moment où l’une d’entre elle va commencer à respirer, à prendre vie. Le processus peut prendre des années. Je m’en écarte toujours, puis j’y reviens et parfois, j’assemble deux histoires entre elles. Tous mes films sont comme ça.

Votre  propre histoire vous inspire aussi…

J’imagine que c’est parce que j’ai vieilli. J’ai aujourd’hui un peu plus de recul sur ma vie. Pour Cold War, je me suis inspiré de l’histoire compliquée de mes parents et de celle de cet ensemble folklorique qui a accompagné ma jeunesse. Pour Ida (2014), j’avais connu une juge comme celle que je décris, un peu stalinienne. La jeune religieuse, c’était aussi une autre histoire que j’avais en tête. Je les ai assemblées.

Vos derniers films sont également très ancrés dans l’Histoire. C’est sa complexité qui vous passionne ?

Oui, car elle donne de l’épaisseur aux personnages. Elle les impacte. Ils doivent y trouver leur place et se définir face elle. J’ai grandi à Varsovie, dans un contexte où l’histoire a été importante. Il y avait des impacts de balles sur le mur de ma maison. J’étais entouré d’histoires qui avaient affaire à l’Histoire.

Comment abordez-vous l’étape de l'écriture du scénario ?

C’est toujours assez bordélique. Je réécris inlassablement mes scénarios, qui ne sont jamais très épais, ni vraiment terminés, ce qui ne rassure pas mes producteurs. Mais je préfère créer de l’espace pour l’image. Je n’aime pas me limiter à la traduction de pages en image. Je trouve que les scénarios sont toujours trop clichés. J’arrive toujours à raconter mes histoires de façon plus intéressante ensuite, lors de sa mise en images. Ensuite, je fais aussi beaucoup de repérages qui durent toujours très longtemps. Ils rajoutent quelque chose à l’histoire, mais aussi à ce que j’imagine de l’histoire, à sa mise en scène.

« Je cherche à ce que la partition soit belle, et pour cela, je pèse chaque note. »

Vous tournez chronologiquement ?

J’essaie, mais ça ne fonctionne pas toujours. Comme pour Cold War. J’essaie également de ne jamais avoir plus de cinq jours de tournage de suite. Je profite de ces temps de pause pour débuter une ébauche de montage. C’est à ce moment-là que le film commence à prendre vie réellement. Je réécris aussi l’histoire au fur et à mesure, en fonction du résultat des prises. Je laisse tomber les scènes un peu approximatives ou trop clichés. Et lorsque je fais face à une situation de blocage, ces moments m’aident à trouver une solution.

Votre mise en scène est très précise…

J’arrive toujours à quelque chose de très précis, mais je pars toujours d’un joyeux bordel ! J’ai besoin de ces espaces, de sentir que j’ai cette possibilité de m’échapper si mon instinct le dicte. Ensuite, je cherche à ce que la partition soit belle, et pour cela, je pèse chaque note.

Quelle influence vos débuts dans le documentaire ont-ils sur votre approche de la réalisation?

Mes documentaires étaient déjà très travaillés. Je métaphorisais la réalité en cherchant des personnages et des situations qui ressemblaient déjà à de bonnes fictions. Quand je trouvais une bonne situation, j’essayais de la filmer à rebrousse-poil. Je faisais des raccourcis, des ellipses : je jouais. J’ai beaucoup appris de cette période. C’était mon école de cinéma. Le passage à la fiction n’a donc pas été radical. J’essaye encore aujourd’hui de sculpter la réalité.

Quel regard portez-vous sur vos acteurs ?

Ils sont aussi importants que l’image. Ils doivent comprendre qu’ils font partie de l’image et que ce n’est pas leur vie intérieure qui m’intéresse.

Comment s’adaptent-ils à votre manière de procéder ?

Ils sont préparés au fait qu’un changement peut intervenir à n’importe quel moment. Ils savent que je ne fais pas de la littérature filmée. Certains acteurs ont très peur de cette manière de procéder. D’autres entrent dans le jeu. Pour y arriver, je crée sur le plateau des conditions de laboratoire, où j’essaye que tout monde se sente bien pour ne pas être trop bousculés par ces changements.

Cela nécessite que vos acteurs soient pleinement impliqués…

Je ne travaille qu’avec des acteurs qui ont du temps et qui ont envie de se donner au film. Pour Cold War, la préparation des acteurs a duré six mois. Joanna Kulig a pris des cours de danse. Elle vivait avec l’ensemble folklorique pour appréhender la mentalité d’un tel collectif. De son côté, Tomasz Kot a appris à jouer du piano et à faire le chef d’orchestre. Il faut du temps pour rentrer dans un personnage. Je leur propose des dialogues mais je les change parfois entre deux prises pour respecter la musique du film. Je dirais que la moitié des répliques changent durant mes films. Mais les bonnes répliques survivent toujours.