Shekhar Kapur, interview exclusive

Shekhar Kapur © AFP

Shekhar Kapur est l’un des rares cinéastes dont l’œuvre se partage entre l’Inde et l’Occident. Si Masoom et Mr India sont considérés comme des films cultes en Inde, c’est Bandit Queen, présenté à Cannes en 1994, qui lui apporte la reconnaissance internationale. Paani, son prochain projet basé sur un livre de Maude Barlow, raconte une histoire sombre sur la menace imminente de la crise de l’eau. ENTRETIEN

Vous êtes connu comme l’un des rares cinéastes indiens à avoir fait carrière à la fois en Inde et aux Etat-Unis. Entre Bollywood et Hollywood, votre cœur balance ?
Je n’ai pas une « carrière de cinéaste », je fais des films quand il m’arrive quelque chose… Si je suis partagé? Oui, je suis partagé par le fait de vivre en Inde et ne pas y avoir toujours l’opportunité de faire les films que je veux. On ne peut pas faire un film sur Mandela ou sur la reine Elizabeth en Inde… Donc ce n’est pas entre Hollywood et Bollywood, c’est plutôt  parce que je vis entre deux cultures : l’une qui m’offre la liberté de faire les films que je veux, et l’autre, à laquelle j’appartiens…. 

Vous avez produit plusieurs films. Dans le plus gros pays producteur de films au monde, qu’est-ce que cela change ?
Etre le plus gros ne signifie pas forcément être le meilleur. Le problème que nous avons en Inde, c’est que nous ne nous sommes pas encore confrontés à la compétition internationale. Tous les films que nous produisons, qu’ils fassent de l’argent ou non, portent sur notre propre culture. Nous sommes englués dans notre culture et c’est un tort. Parce que tout art qui ne s’émancipe pas d’une culture donnée – dans l’environnement moderne qui est celui de la globalisation et du changement – est un art destiné à s’autodétruire.  L’art, quel qu’il soit doit évoluer. S’il n’évolue pas, il régresse.

Vous vous êtes engagé  pour le projet 'Paani' (Eau) qui alerte sur la guerre imminente pour l’eau dans le monde, pourquoi cet engagement en particulier ?
Je travaille beaucoup et depuis longtemps sur le problème de la raréfaction de l’eau. Je suis membre du “Global Water Challenge” dans le monde. Je suis un peu  « l’homme de l’eau » en Inde. Et la raison pour laquelle je fais ça, c’est parce j’ai grandi dans une région où le manque d’eau se faisait déjà sentir. Cela fait 10 ans que j’alerte les gens sur le fait que le problème est à notre porte. Et ce n’est pas un problème futur. Nous sommes dans une situation explosive aujourd’hui. Il y a des gens qui meurent en Inde parce qu’il n’y pas assez d’eau, il y a des gens qui s’entretuent en Afrique pour un peu d’eau… On ne peut pas continuer… On ne peut pas vivre dans un monde où les uns peuvent prendre des douches pendant deux heures… Savez-vous qu’une minute de douche aux Etats-Unis suffirait à donner à boire pour une journée à une famille de cinq personnes en Inde?
Est-ce qu’un tel engagement pourrait vous mener à réaliser un documentaire ?
Il y a déjà beaucoup de documentaires… Ca ne change rien… Récemment le  National Geographic a publié un livre qui s’appelle  “Written in water”  et ils m’ont demandé d’écrire un article. J’ai préféré écrire une nouvelle.

Pourquoi ?
Parce que cela personnifie le problème. On ne peut pas se cacher derrière les chiffres. Des faits ? Des statistiques ? 250 millions de personnes vont mourir…  Et après? L’énoncer ne fait aucune différence parce que ce sont des statistiques, des chiffres. Les documentaires parlent du nombre de personnes touchées et se doivent d’être objectifs. Mais nous ne réagissons pas aux faits, nous réagissons à l’émotion, nous compatissons avec les personnages. C’est pourquoi j’écris des histoires, des nouvelles sur l’eau. La dernière s’appelle « L’épouse du puits » et j’en ferai un film.

Cate Blanchett, qui était présente à l’ouverture pour Robin Hood, était l’héroïne de vos deux films Elizabeth et Elizabeth: l’âge d’or. Est-ce que vous avez des anecdotes sur votre collaboration ?
Un million ! C’était mon premier voyage pour un film d’envergure international… Et nous avons fait ce voyage ensemble. Elle est arrivée avec tout son talent et forte d’une perception tout à fait réfléchie de son métier. Moi, j’abordais les choses d’un point de vue différent en disant: « laissons tout ça tourner au chaos et du chaos nous tirerons le sens ».  Nous avions donc une approche très différente, c’était complémentaire et enrichissant.

« Celui qui regarde longtemps les songes devient semblable à son ombre. » en tant que cinéaste et membre du Jury, que pensez-vous de ce proverbe indien ?
Je pense exactement le contraire! Je crois que lorsqu’on a un rêve, on en fait un fantasme et qu’ensuite, le fantasme devient une obsession. Et c’est de cette obsession que naît la création. Le rêve n’est pas quelque chose de tangible mais si vous suivez ce rêve jusqu’au bout, il vous permet de créer quelque chose qui vous est extérieur. Un cinéaste, pour aller au bout de son idée de créer un film à partir de rien, surtout dans le cinéma indépendant, a besoin d’un rêve.

Qu’est ce que cela vous fait d’être au Jury des Longs Métrages?
C’est une chance immense! De travailler avec Tim Burton qui à mes yeux est le Salvador Dali du cinéma!  Vous voyez?  Tim ne raconte pas une histoire, il crée des images que nous prenons plaisir à regarder. Il est le Dali de la réalisation ! Et d’avoir la chance d’échanger avec lui, de connaître son opinion sur les films, de partager ça avec d’autres grands esprits, c’est fascinant… Evidemment c’est aussi les fêtes, le glamour… Mon seul problème, c’est que je déteste les smokings…

Le 23 mai, vous allez remettre la Palme d’or à l’un des films en Compétition. Et après ?
Je vais faire mon film. J’ai un nouveau scénariste dessus. Nous allons retourner en Inde et je vais le faire vivre pendant 3 jours dans un bidonville. Sans eau, sans nourriture, sans aucun confort.  Il a besoin de vivre ça parce qu’il vient d’Angleterre et ces 3 jours vont l’aider à comprendre le film que nous voulons faire. Ce qui importe,  c’est l’émotion.  Nous tombons de plus en plus dans le piège de raconter des histoires bien structurées autour de 3 parties. La structure en 3 parties est devenue une prison pour les cinéastes…