Caméra d’Afrique : entretien avec Ferid Boughedir

Photo du film Caméra d'Afrique ( Cinéma Africain : Filmer Contre les Impossibles ) © Marsa films / Restauration Direction du patrimoine du CNC

Dans Caméra d’Afrique (African Cinema: Filming Agasint All Odds), le réalisateur tunisien Ferid Boughedir explore les 20 premières années de ces nouveaux « cinémas d’auteurs », nés en Afrique subsaharienne, à travers des extraits de films, de documentaires rares et d’entretiens avec des réalisateurs. Le film, présenté à Un Certain Regard en 1983, est projeté à nouveau à Cannes Classics en copie restaurée.  

Comment vous est venue l’idée de ce documentaire ?

J’ai eu la chance de faire du cinéma au moment où s’est créé, en Tunisie, le premier festival au monde dédié aux films africains et arabes, « Les journées cinématographiques de Carthage ». C’est ainsi que j’ai vu le premier long métrage d’Afrique noire. Ça a été un choc pour moi car j’avais l’habitude d’admirer les films occidentaux dans les cinéclubs. Pour la première fois, je voyais une autre perception du cinéma, une autre façon de filmer. Puis j’ai assisté au Fespaco, Festival Panafricain à Ouagadougou, qui m’a permis de voir tous les premiers films africains. Ce film témoigne de mon amour pour toutes ces œuvres mais également du combat de ces cinéastes pour les faire exister. Je souhaitais montrer que ces réalisateurs parvenaient à faire des merveilles avec peu de moyens et qu’il ne fallait pas ignorer leur cinéma. 

Comment avez-vous eu accès aux archives ?

J’ai surtout sélectionné des films d’auteur pour montrer la richesse et la diversité de ce cinéma. Grâce à mon parcours de réalisateur, j’étais considéré comme un frère aux yeux de ces cinéastes qui m’ont donné accès à leurs films. Tous ont fait preuve d’une générosité énorme, ils m’ont autorisé à entrer en contact directement avec les laboratoires sans me demander quoi que ce soit en retour. 

Quels moyens avez-vous utilisés ?

Ce film est principalement autoproduit. Je n’avais pas d’argent à l’époque et je l’ai fait dans les mêmes conditions précaires que tous ces cinéastes. Grâce à mon statut, je n’ai eu aucun souci à réaliser ce film, si ce n’est de trouver les fonds par moi-même et que, par conséquent, il m’a fallu dix ans pour aboutir au résultat final. Cependant, les réalisateurs et la Tunisie m’ont beaucoup aidé. Le film est le produit d’une solidarité sans failles. 

Vous illustrez l’Afrique subsaharienne et arabe, pourquoi ne pas avoir intégré l’Afrique anglophone ?

Le film comprend un extrait seulement du Nigéria, tout simplement car le cinéma de l’Afrique anglophone n’existait pas. Les Anglais n’ont jamais soutenu le cinéma des pays qu’ils ont colonisés. La culture y était aussi totalement différente. On le remarque d’ailleurs dans l’extrait du film nigérian, il ne provient pas d’un cinéma d’auteur mais plutôt de divertissement. Les francophones avaient intégré l’idée de s’exprimer par l’image, ce qui n’était pas le cas dans les pays anglophones. 

Que pensez-vous de la représentation du cinéma africain à l’international ?

Il survit faiblement. À une période, il y a eu un essor du cinéma africain dans les festivals. Et puis cette mode est passée, les programmateurs sont revenus à l’idée qu’il suffit d’un film pour représenter l’Afrique. Je pense que le cinéma africain est seulement présent à l’international grâce à cette volonté de montrer la diversité culturelle. Il y a aussi un problème au sein du continent, les gouvernements africains ne donnent pas assez d’intérêt au cinéma. Au final, les meilleurs films que l’on voit sont financés par des pays comme la France.