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Demain, le cinéma !

Thierry Frémaux © V. HACHE / AFP

 

Dans un texte paru dans le Journal du Dimanche du 26 décembre, Thierry Frémaux, Directeur du Festival de Cannes et de l'Institut Lumière, proclame son amour des salles de cinéma, nées il y a 125 ans en France et menacées par la crise économique et sanitaire.

Commençons par un point final : c’est la France qui a inventé le cinéma. A l’été 1894, à Paris, Antoine Lumière découvre le Kinétoscope de Thomas Edison, appareil individuel qui permet à une image minuscule de s’animer si on y met une pièce. « Il faut faire sortir le film de cette boite, dit immédiatement le père de Louis et Auguste, le projeter sur un grand écran et devant un public. » Et il ajoute : « Je rentre à Lyon. Mes fils trouveront. » Ses fils trouvèrent et appelèrent leur machine le Cinématographe, qui signifie « écrire le mouvement ». Génie de la nouveauté : le même appareil filme et projette.
 

A la fin 1895, Lumière décide de dévoiler au monde la nouvelle invention. Le 28 décembre 1895, il accueille le public parisien au Salon Indien du Grand Café, boulevard des Capucines, dans le quartier des illusionnistes et des magiciens. Son propriétaire refuse une location au prorata du nombre de spectateurs. Le premier soir, il se frotte les mains : il n’y en avait que 33. Les jours suivants, la foule accoure par centaines. Louer la salle au forfait fut la première bonne affaire de l’histoire du cinéma. Lumière savait ouvrir le futur, et pas seulement par son patronyme.
 

Une demi-heure, dix films projetés et rembobinés les uns après les autres, cinquante secondes chacun, dont le premier d’entre eux : La Sortie de l’usine Lumière à Lyon. Et s’il est vrai que Georges Méliès assistait à cette première séance, installé au premier rang, et qu’il a tenté en vain d’acquérir l’appareil, il ne l’est en revanche pas que Lumière a déclaré que « c’était un art sans avenir ». La preuve, Louis va réaliser et produire 1500 films (tous superbes, mais c’est un autre sujet). Des histoires belles mais fausses, il y en a quelques unes dans la saga Lumière. Comme chez John Ford, on a souvent préféré imprimer la légende et on a bien fait.
 

Le 28 décembre fut donc la « première projection publique payante » du Cinématographe. La première séance de cinéma. On va le dire ainsi, en cette veille d’anniversaire. Cet avènement est une longue chaine et doit beaucoup aux travaux des prédécesseurs de Lumière : Etienne-Jules Marey, Eadweard Muybridge, Emile Raynaud et bien sûr Thomas Edison. Mais répétons aux grincheux anti-français (des français, souvent !) qui contestent depuis des lustres la légitimité de Lumière, que les américains vont aussi au cinéma, pas au Kineto.

En cette fin d’année 2020, les salles de cinéma ont 125 ans. Et cette célébration se fait avec un peu de tristesse et beaucoup de mélancolie. Car pour la première fois, elles sont à l’arrêt. Ce que les guerres mondiales n’avaient pu faire, un virus y est parvenu, insidieusement, dans un aller-et-retour infernal. Deux fois, en 2020, les cinémas ont fermé leurs portes et éteint leurs écrans. Il y aurait eu meilleure manière de les fêter – ça n’était pas comme cela que nous avions prévu les choses. Et comme si cela ne suffisait pas, les exploitants et les amoureux des salles doivent regarder les plateformes faire main basse sur les trésors de famille, les films, les cinéastes et les cinéphiles.
 

Du côté des éditorialistes, plutôt que le énième papier sur la mort du cinéma, on voudrait une pensée tendre, quelques paroles de reconnaissance, que soit redit ce que le septième art apporte à la civilisation. Dans l’attente fébrile de 2021, les spectateurs, eux, ont parlé. Ils sont revenus lors du premier déconfinement, ils étaient prêts à le faire à nouveau le 15 décembre dernier et ils reviendront à la première occasion. Si Lumière a inventé les salles, le public les réinvente, c’est sa présence qui en fait la magie. Il eut ce 28 décembre 1895 la bonne intuition : ce dont les gens avaient envie, c’était d’être ensemble pour partager les émotions du monde. Les plateformes, qui ne peuvent pas se passer de « nous », de nos films, de nos artistes, ne sont pas la revanche d’Edison : la télévision est là depuis les années cinquante. Le cinéma en a vu d’autres.
 

Car d’émotions collectives, nous avons toujours envie. Dans leur absence, les salles, qui sont nos maisons, nos églises et nos rituels, n’ont jamais été aussi présentes. Quand nous reverrons-nous ? Bientôt, il le faut. Nous voulons retourner dans un cinéma où il n’y a pas de bouton « Pause ». Voir, sur un grand écran, un film que nous découvrirons. Assis à côté de quelqu’un que nous ne connaissons pas. Retrouver les promesses que le cinéma a toujours tenues et qui ne disparaitront jamais.

Cinématographe Lumière

Cinématographe Lumière © DR

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