Le Festival en ses Palais

Le Palais des Festivals © Thomas Leibreich / FDC

Le Festival International du Film, niché dans la baie de Cannes depuis sept décennies, a connu plusieurs écrins au cours de son histoire. Du Casino Municipal au Palais des Festivals, petit tour de l’aventure architecturale d’un événement qui au fil de ses éditions a redessiné les lignes du cadastre de la ville qui lui prête son prestigieux décor.

Une salle de cinéma au Casino Municipal

Dès 1939, Cannes est envisagée comme terre d’accueil du Festival pour son luxe et ses charmes touristiques. Henry Gendre, directeur du Grand Hôtel et père de l’acteur Louis Jourdan, et Georges Prade qui défend les intérêts de la Côte d’Azur dans les sphères parisiennes, agissent pour que Cannes remporte le marché : la cité mondaine et appréciée pour ses Palaces, le Festival sera l’occasion de prolonger la saison touristique. La capacité de la ville à aménager rapidement son Casino pour y installer une salle de projection à la mesure de l’événement représente un atout majeur aux yeux du gouvernement. C’est ainsi que le 31 mai 1939, Cannes remporte l’implantation de la manifestation, trois mois seulement avant la date prévue de son inauguration.

Cannes s’est dotée d’un établissement de jeux dès 1907. En France, la réglementation limite l’implantation des cercles de jeux aux stations balnéaires et en posséder un est un atout de taille pour le tourisme. Situé au début du boulevard de la Croisette, le Casino est une première fois agrandi à la fin de la première Guerre Mondiale. Avec son nouveau salon des Ambassadeurs, il devient rapidement le lieu des mondanités de la haute société en villégiature.

En 1939, lorsqu’elle remporte l’accueil de la manifestation, c’est dans le hall de cet établissement prisé que la municipalité décide d’aménager une salle de cinéma : 1000 fauteuils y sont installés et on négocie le meilleur équipement audiovisuel pour faire du Festival l’exposition prestigieuse de la technologie cinématographique. Le petit théâtre du Casino est également transformé en une salle de projections plus intime, réservée aux journalistes et au Jury. C’est dans cette salle que se tiendra la seule projection à avoir lieu en 1939, celle de Quasimodo (The Hunchback of Notre-Dame) de William Dieterle, quelques jours avant la déclaration de guerre qui diffère de plusieurs années la tenue du premier Festival.

L’ambitieux Palais Croisette

A partir de 1946, avec la reprise officielle de l’organisation de la manifestation, la question de la construction d’un Palais dédié soulevée dès 1940 devient incontournable. La municipalité négocie la propriété du terrain du Cercle Nautique pour y installer le bâtiment mais le contexte local et international retarde le projet et le Festival 1946 se déroule au Casino, comme initialement prévu pour le Festival 1939.

A la suite de cette première édition réussie, Philippe Erlanger négocie avec Venise l’alternance entre les deux manifestations : en 1947, c’est normalement au tour de la Mostra d’organiser une manifestation au caractère international et Cannes doit se contenter d’une rencontre cinématographique nationale. Pourtant, le Festival de Cannes réunit bien plusieurs nations cette année-là.

Côté infrastructure, les atermoiements franco-italiens quant à la date de la tenue de ce deuxième festival ont laissé à penser qu’il n’y avait pas besoin de presser la construction du nouveau Palais… En ces années  de reconstruction du territoire national, se pose également le problème des subventions que l’Etat tient à limiter. Qu’à cela ne tienne, le Dr Picaud, alors maire de Cannes, lors d’un Conseil Municipal, emprunte 110 millions de francs pour doter sa ville d’un Palais et assurer que sa commune devienne l’une des capitales mondiales du 7e Art. Le projet est confié aux architectes Gridaine et Nau, habitués à la conception de salles obscures et l’ouvrage à l’entrepreneur Zincano. On y prévoit des salons de thé, des bars américains, un luxueux restaurant, un solarium, une piscine lumineuse, une piste de danse et l'emplacement pour deux orchestres…

Le 20 mai 1947, le chantier débute. Démolition du Cercle Nautique et construction du Palais, les travaux sont semés d’embûches matérielles et financières. Les livraisons tardent, la charpente métallique est livrée avec plus de 20 jours de retard, les crédits alloués se révèlent insuffisants, mais le défi d’être prêt pour l’ouverture du 12 septembre est plus fort que ces vicissitudes et les équipes travaillent jour et nuit pour atteindre l’objectif :
 

A l’ouverture à la date prévue, sur la scène joliment décorée de fleurs, les ouvriers en bleu de travail sont ovationnés par le parterre d’invités en tenue de soirée. Le bâtiment qui accueillera la manifestation pendant 33 ans n’est pourtant pas totalement terminé : la salle ne possède que 1000 fauteuils sur les 1800 initialement prévus, le balcon n’est pas achevé, le nombre de bureaux réservés à l’organisation est largement insuffisant et le dernier jour, sous le coup d’un violent orage, le toit provisoire s’envole, contraignant  les festivaliers à retourner au Casino Municipal pour assister à la remise des prix. 1

En 1948, le Festival est annulé faute de budget et l’achèvement du Palais Croisette se poursuit au ralenti. Il faudra finalement attendre le premier jour de l’édition 1949 pour une inauguration en bonne et due forme de l’édifice par François Mitterrand, alors sous-secrétaire d’État à la Présidence du conseil.
 

 

Le Palais des Festivals et des Congrès

Dès la fin des années cinquante, le succès de la manifestation et l’évolution de sa fréquentation font réfléchir les organisateurs à des projets d’accroissement de la capacité d’accueil du Palais Croisette. Faute de crédits, aucun de ces projets ne verra le jour et en 1978, c’est finalement la construction d’un nouveau Palais qui est décidée. Pour l’anecdote, ce n’est qu’à ce moment-là que l’ancien Palais des Festivals sera baptisé « Palais Croisette ».

Le Palais des Festivals et des Congrès comporte 2400 sièges dans son Grand Théâtre Lumière, 1000 places dans le théâtre Claude Debussy ainsi qu’une salle de presse, une salle de conférences, de nombreux auditoriums et des espaces de réception. Le bâtiment, surnommé « le Bunker » par les accrédités est inauguré en 1983 et ne fait pas tout de suite l’unanimité auprès des Festivaliers attachés au charme de l’ancien Palais, comme en témoigne ce reportage dans lequel France Roche, en verve, relate la cérémonie d’ouverture :
 

Au fil du temps, le Palais des Festivals impose pourtant ses installations modernes et fonctionnelles et après plusieurs projets de reconversion, le Palais Croisette est finalement démoli en 1988.

Depuis sa construction, le Palais des Festivals n’a cessé d’évoluer pour accompagner la manifestation. A partir de 2000, l’espace Riviera, 7000 m2 d’exposition, accueille le Marché du Film et met à disposition des professionnels de nombreuses salles de projection. Le Village International reçoit les pavillons d’une soixantaine de nations venues faire la promotion de leurs industries cinématographiques aux abords du Palais. Depuis 2007, la salle éphémère du Soixantième est érigée chaque année sur le toit du Riviera pour accueillir les Séances Spéciales et celles de Cannes Classics. Enfin de 2009 à 2012, des travaux de réaménagement et d’embellissement ont été réalisés pour que le Palais des Festival reste à la hauteur de ses 24 mythiques marches rouges.

1- BRESSON Jean, BRUN Mario, Les vingt marches aux étoiles, la fabuleuse histoire du Festival de Cannes, Editions Alain Lefeuvre,1982, p41
Illustrations:
Brochure 1947: Archives Administratives du Festival consultables à la Cinémathèque Française, FIFA 73 B10