Les Musiques de films qui ont marqué la Croisette

Pulp Fiction, Quentin Tarantino

Des films qui dénotent et des notes qui défilent, une autre manière de raconter le Festival de Cannes, tant depuis 70 ans, le cœur de la Croisette a battu au rythme des musiques des films sélectionnés. De 1946 à 2016, l’histoire de la manifestation s’est en effet aussi écrite sur les lignes de partitions restées dans les mémoires. Flashback sur les plus marquantes d’entre elles.

L’hymne du Festival

Si le Festival se présente depuis 1987 sous les augures d’Aquarium de Camille Saint-Saëns, devenu l’hymne international de la célébration du cinéma, ce n’est pas tout à fait un hasard. En composant une suite pour petit orchestre Opus 128 pour cordes, piano et harmonium pour le film L’Assassinat du Duc de Guise d’André Calmettes en 1908, le célèbre compositeur français aurait écrit la toute première bande originale de l’histoire du cinéma. Pour masquer le bruit du projecteur, les musiciens accompagnent le spectacle cinématographique depuis ses débuts mais le travail de Saint-Saëns représente certainement la première partition conçue spécialement pour un scénario.

Gilles Jacob, alors délégué artistique du Festival, rencontre cette mélodie dans Days of Heaven de Terence Malick à travers la bande originale d’Ennio Morricone et décide d’en faire le générique de chaque séance de la manifestation :

« Saint-Saëns, par Morricone interposé, a fait au Festival le plus beau cadeau du monde : mettre chaque spectateur à chaque séance dans un état de bonheur et de réceptivité qui le rend euphorique au début du film présenté. Après, à chacun sa chance… »

Le Festival, en citant son célèbre Carnaval des animaux écrit en 1886, rend ainsi un hommage éternel à Saint-Saëns, l’un des premiers à avoir compris l’enjeu dramaturgique d’une composition dédiée à la l’écran. 

 

Les Comédies Musicales

Dans les années 50, le bal s’ouvre sur la Croisette avec certaines des comédies musicales les plus célèbres d’Hollywood. Avec elles, les studios font la démonstration d’un cinéma où la musique dicte l’intrigue. Parmi ces films, citons les classiques Ziegfeld Follies (1947) et An American in Paris (Un américain à Paris) de Vincente Minelli ou encore Funny Face (Drôle de Frimousse, 1957) de Stanley Donen.  

Viendra ensuite l’heure des comédies musicales hors du commun qui s’amusent à déjouer les codes du genre. Notons les plus marquantes :

En 1960, Das Spukschloß im Spessart de Kurt Hoffman, comédie d’horreur en 13 chansons, est présentée à Cannes et se voit qualifiée de « Grusical », contraction allemande de « Gruseln », c’est-à-dire « Frissons », et de « Musical ».

En 1964, le Festival sacre Palme d’or une expérience cinématographique inédite qui révèle Catherine Deneuve aux yeux du monde. Les Parapluies de Cherbourg est le premier film de Jacques Demy entièrement chanté, sur une partition de Michel Legrand.

Autre Palme d’or musicale en 2000, celle de Lars Von Trier, Dancer in the Dark, qui rend hommage aux comédies hollywoodiennes en renversant le genre dans le drame grâce à l’inoubliable performance de la chanteuse Björk.

En 2001, c’est au tour de l’Australien Baz Luhrmann d’enchanter la Croisette avec son Moulin Rouge. Après son remarqué Roméo + Juliette, le réalisateur prolonge l’expérience du mélange de classicisme et de pop culture et revisite le mythe d’Orphée, La dame aux Camélias de Dumas fils et le Paris de Toulouse Lautrec, tantôt en s’appropriant le répertoire moderne de David Bowie, Elton John ou Police, tantôt en s’appuyant sur des morceaux originaux comme Lady Marmelade.

 

Les bandes originales

Mais les films musicaux n’ont pas l’apanage des thèmes qui sont restés dans les mémoires. Ainsi, au cours des années, de nombreuses musiques de films sont devenues cultes lors de leur passage sur la Croisette. Pour s’en tenir aux Palmes d’or, citons quelques bandes originales emblématiques.

En 1960, la Palme d’or remise à La Dolce Vita scelle le triomphe de la légendaire collaboration de Federico Fellini avec Nino Rota.

En 74, Scorsese fait appel à Bernard Hermann, compositeur historique de certains films d’Hitchcock, pour la bande originale de son Taxi Driver. Ambiance inquiétante et calfeutrée autour d’un saxophone:

En 1993, l’envoûtante composition de Michael Nyman pour The Piano (La Leçon de Piano) de Jane Campion participe au couronnement du film et de sa réalisatrice, seule femme à ce jour à avoir reçu la Palme d’or.

Autre exemple, Goran Bregovic qui collabore pour la seconde fois avec le réalisateur Emir Kusturica après Le Temps des Gitans en 1989, lorsqu’il compose l’exubérante bande originale d’Underground, Palme d’or en 1995.

Bien sûr,  la liste est loin d’être exhaustive, mais ce que révèle le succès des bandes originales décennies après décennies, c’est aussi l’importance du tandem réalisateur/compositeur dans le septième art.

Avec l’avènement de ces musiques, survient la reconnaissance de leurs auteurs, des noms devenus célèbres auxquels le Festival a plusieurs fois rendu hommage, notamment à partir de 2003 lors de Leçons de musique qui ont par exemple permis au public d’écouter Nicola Piovani, Lalo Schifrin, Patrick Doyle, Alexandre Desplat ou encore Howard Shore évoquer leur art.

Les tubes de la Croisette

Et puis il y a les « tubes », ceux qui dès les premières éditions font connaître aux festivaliers des émois musicaux moins attendus et résonnent encore aujourd’hui aux oreilles des cinéphiles…

Carol Reed, alors en repérage à Vienne pour The Third Man (Le Troisième Homme), rencontre un musicien dans un bar et lui demande de composer la bande originale de son film… La cithare d’Anton Karas qui ouvre en beauté le chef-d’œuvre de Carol Reed devient légendaire et le film repart lauréat du Grand Prix du Festival 1949.

10 ans plus tard, c’est la chanson d’Orfeu Negro, adaptation du Mythe d’Orphée au cœur du carnaval de Rio de Janeiro par Marcel Carné, qui invite la Bossa Nova au bord de la Méditerranée :