Naissance d’un Festival

Dépliant publicitaire réalisé par Marco de Gastyne © FDC

2017 marque ses soixante-dix ans, mais quelle est la véritable date de naissance du plus grand Festival du monde ? 1939, 1946 ? Une première édition avortée, deux manifestations annulées faute de budget et une interrompue en raison des événements politiques (1968), l’âge du Festival de Cannes n’est pas une mince affaire...  Pour mieux comprendre, retour illustré sur la genèse de la manifestation.

Une volonté antifasciste : les bases politiques du Festival

La volonté de créer une rencontre internationale autour du cinéma en France trouve ses origines dans un autre Festival. En 1932, La Biennale de Venise, grande rencontre artistique internationale, décide de dédier une partie de son programme au Cinéma. Avec les Academy Awards (Oscars), la Mostra est l’une des premières manifestations internationales à célébrer le Septième Art.
En 1938, le Festival de Venise devient cependant l’un des principaux théâtres des enjeux politiques de l’Italie Mussolinienne et de ses relations avec l’Allemagne Nazie. Le film pacifiste La Grande Illusion de Renoir ayant été primé l’année précédente, Goebbels favorise le cinéma Allemand au Palmarès1. Au dernier moment et en dépit du règlement qui interdit de récompenser un film documentaire, Les Dieux du Stade de Leni Riefenstahl remporte la Coupe Mussolini, ex aequo avec Luciano Serra, pilote, film italien de Goffredo Alessandrini appuyé par Vittorio Mussolini, le fils du Duce en charge du cinéma en Italie. Colère des délégations envoyées par les nations démocratiques : la Grande-Bretagne et les Etats-Unis quittent Venise avec l’intention de ne plus y revenir. Très vite, l’industrie cinématographique s’émeut de ne plus avoir de lieu d‘exposition neutre et libre. Le besoin de trouver une alternative au festival vénitien se fait sentir autant dans les sphères artistiques que politiques.

Philippe Erlanger, à l’initiative du Festival

Le 3 septembre 1938, dans le train qui le ramène de Venise à Paris, Philippe Erlanger, alors représentant du gouvernement Français au Festival de Venise et inspecteur général au Ministère de l’Education Nationale et des Beaux-Arts en charge des questions cinématographiques, conçoit le projet de faire de la France la nouvelle terre d’accueil du cinéma international. Dans son rapport à Jean Zay, Ministre de l’Education et des Beaux-Arts, il vante les bienfaits politiques et économiques que pourrait avoir l’organisation d’un festival international sur le territoire qui a vu naître le cinéma.
Des réticences au sein du gouvernement se font entendre : dans le contexte international de l’époque, juste après les accords de Munich 2, lancer un tel affront diplomatique à l’Italie a de quoi effrayer. De plus, dans l’opinion publique beaucoup se contentent du prix décerné « à l’ensemble de la production française » à la Mostra 1938 3.  
Il faudra attendre quelques mois pour que Jean Zay et Albert Sarraut, Ministre de l’Intérieur, donnent finalement leur accord pour qu’une telle manifestation voie le jour. L’Association Française d’Action Artistique, section du Ministère de Jean Zay en lien avec le Ministère des Affaires Etrangères pour ses enjeux diplomatiques, est alors désignée pour réaliser les fondements du Festival sous la houlette de Philippe Erlanger.

Faire rayonner la France et développer son industrie cinématographique

Derrière la volonté de contrer la Mostra par une manifestation démocratique, se cachent des enjeux aussi bien artistiques que politiques : il s’agit de contribuer au rayonnement de la France en même temps qu’au développement d’une économie du secteur cinématographique. En effet, Jean Zay souhaite favoriser la structuration de la profession par l’aide de l’Etat et profiter de cette exposition mondiale pour promouvoir l’industrie du cinéma français.
Il faut aussi préciser le rôle des américains dans le projet de Philippe Erlanger. Lorsqu’Harold Smith, représentant du cinéma américain, quitte la Mostra, c’est d’abord un geste politique contre les dérives totalitaires. Cependant, quand sous l’impulsion fasciste, le gouvernement Italien passe une loi protectionniste se garantissant le monopole de l’importation et de la distribution de films étrangers, le 13 Septembre 1938, le retrait américain devient également une protestation économique 4. L’industrie cinématographique américaine, alors à la recherche d’une nouvelle entrée pour infiltrer le marché Européen, soutiendra le projet d’un rendez-vous international du cinéma en France. L’ouverture du marché cinématographique français à leur production, entérinée par les accords Blum-Byrnes en 1946, est un avantage pour les américains 5.  L’opportunité de la participation d’Hollywood au projet est également saisie par la France pour que ses films accèdent réciproquement au marché américain 6.  

1939, acte de naissance d’un Festival

Pour sa première édition prévue le 1er septembre 1939, il est décidé que le Festival s’ouvrira sous la présidence d’honneur de Louis Lumière, inventeur du Cinématographe. Les invitations sont envoyées, l’Italie et l’Allemagne sont conviées mais déclinent sans surprise. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et L’URSS s’engagent à venir.

L’un des principaux objectifs étant de préserver de bonnes relations diplomatiques, chaque pays invité choisit les films qu’il souhaite présenter et désigne un membre du Jury. Et pour ne pas faire de jaloux, il est prévu que chaque nation représentée remporte un « Grand Prix ».

Extrait du réglement du Festival International du Film de Cannes, 1939 © FDC
Extrait du réglement du Festival International du Film de Cannes, 1939 © FDC

 

Le choix de la ville de Cannes

Il s’agit maintenant de déterminer l’endroit où les festivités se tiendront. Pour faire face au charme de Venise, les regards se tournent vers le sud de la France qui offre l’avantage de la mer, du soleil et du parc hôtelier. Le poids économique que pourrait apporter une telle manifestation est important et plusieurs villes se portent candidates. Finalement, grâce aux talents de lobbyistes d’Henry Gendre, patron du Grand Hôtel et de Georges Prade, conseiller municipal et départemental œuvrant à Paris, entre les finalistes Biarritz et Cannes, c’est la perle de la Côte d’Azur qui est désignée, notamment pour sa capacité à fournir rapidement une salle de projection. Les hôteliers y voient l’occasion idéale de poursuivre la saison touristique et offrent tout leur concours à la réalisation du projet.

Un défi au destin

Georges Huisman, alors directeur des Beaux-Arts, est nommé par l’Association Française d’Action Artistique à la tête du Comité d’organisation. Une dizaine de semaines à peine pour mettre en place une manifestation d’envergure mondiale et organiser les festivités… Philippe Erlanger témoignera : « Nous lancions un véritable défi au destin.» 7. C’est sans compter l’expérience des membres du comité qui n’en sont pas à leur coup d’essai. L’administration de Jean Zay a déjà mis sur pied l’Exposition Universelle de Paris en 1937 et l’Association Française d’Action Culturelle a eu à sa charge le Centenaire de la Révolution Française en cette même année 1939 8.  
A Cannes, le Casino Municipal est aménagé en lieu de projection. Une grande salle est installée dans le hall tandis que la salle de théâtre, attenante au hall, est transformée en cinéma pour accueillir les séances réservées à la presse et au Jury 9. La promotion de l’événement ainsi que les invitations aux vedettes font partie des préparatifs avant son lancement. La création de l’affiche est confiée au peintre cannois Jean-Gabriel Domergue et représente le tout premier couple spectateur du Festival de Cannes.

1- LOUBES Olivier, Cannes 1939, Le Festival qui n’a pas eu lieu, Armand Colin, Paris 2016, p.55
2- 29 et 30 septembre 1938, discussion entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier sur le sort de la Tchécoslovaquie. Malgré les accords entre la France et ce pays, Edouard Daladier cède à Hitler pour garantir la paix.
3- LOUBES Olivier, op. cit., p.45
4- LOUBES Olivier, op. cit., p.78
5- LOUBES Olivier, op. cit., p.113
6 – LATIL Loredana, Le Festival de Cannes sur la scène internationale, Editions Nouveau Monde, 2005, p.29
7- ERLANGER Philippe, La France sans étoile, souvenirs de l’avant-guerre et du temps de l’occupation, Plon, 1974,p.181
8- LOUBES Olivier,  op. cit., p.128
9- LOUBES Olivier,  op. cit., p.144
Illustrations:
Caricature Mussolini : Cinémonde, 23 Août 1939, consultable dans les Archives Administratives du Festival à la Cinémathèque Française: FIFA 939 B150
Télégramme de Louis Lumière : FIFA 911 B147
Extrait du Réglement 1939 : Archives administratives du Festival
Correspondance de Georges Prade :  FIFA 1 B1
Matériel Promotionnel : FIFA 918 B148