Tenue Correcte Exigée

Les spectateurs se bousculent à l'entrée du Palais Croisette avant une projection © STAFF / AFP

Élévation vers les sommets cinématographiques, quelle légendaire ascension que la Montée des Marches du Festival de Cannes ! Ce rite de passage d’un film vers sa première projection répond à des traditions qui se sont construites au cours de ces 70 années. Retour historique et illustré sur la principale d’entre elle : la tenue correcte exigée.

Le Grande Messe du Cinéma

Au fil de ses  éditions, le Festival de Cannes a écrit l’histoire du cinéma par les films qu’il a sélectionnés autant que par les grands noms de la vie culturelle qu’il a fait confluer au pied de ses marches. Un protocole précis s’est alors dessiné pour entrer dans le temple de la Cinéphilie mondiale.

Ici, pas de  photographies volées, les célébrités s’offrent au regard et s’y préparent ! Dès les premières années, l’arrivée des personnalités pour la séance de Gala devient un rituel et le dress code, souvent honoré, parfois déjoué, n’en finit pas de faire couler de l’encre.
 

Un pli historique

Lorsqu’en 1939 l’état décide de créer une rencontre internationale du Cinéma en France, le choix de l’implanter sur la Côte d’Azur n’est pas pris au hasard. Il s’agit dans un premier temps de trouver un lieu pour concurrencer les charmes mondains de Venise.

Il faut dire que depuis l’installation en 1834 de Lord Brougham, ancien chancelier Britannique, et grâce au développement de la ligne de Chemins de Fer P.L.M desservant la Côte, la cité est devenue une station balnéaire prisée. Le tourisme de raffinement et de loisir s’y est développé avec la construction de la Croisette et des hôtels luxueux qui la longent ainsi que grâce à l’ouverture du Casino Municipal dans lequel le Festival sera organisé en 1939 (édition annulée) puis 1946.

C’est dans ce contexte de villégiature cossue sur la Côte d’Azur que s’ancre le code vestimentaire festivalier. En témoignent la célèbre affiche de Jean-Gabriel Domergue et le document de promotion signé Marco de Gastyne, élaborés pour la manifestation de 1939, au programme de laquelle figurait déjà un « dîner de l’élégance » !

Smoking / no smoking

Si le Festival s’associe plusieurs fois au fil de son histoire avec la Chambre Syndicale de la Haute Couture de Paris pour organiser des défilés de grandes maisons Parisiennes lors des cérémonies et faire ainsi rayonner le patrimoine français, la tenue de soirée n’est pas au goût de tous !

L’affaire des cravates

En 1949, le Festival fait face à son premier « fashion faux-pas ». Avec la météo clémente de la Côte d’Azur, les festivaliers doivent jouer du cintre pour passer du maillot de bain au smoking à temps pour leurs séances ! Le comité d’organisation décide alors de faire des séances avec cravates et d’autres sans. Mais les délégations étrangères prenant cette alternance de protocole pour un jugement de valeur du film présenté, la colère gronde et la guerre des cravates est déclarée !  

Le maire lui-même, M. Antoni, exprime son mécontentement, arguant que le protocole ne correspond pas au climat Cannois et que les festivaliers devraient pouvoir prendre leur aise 1. Place au maillot de bain, qui sera l’un des premiers accessoires de mode sur la Croisette ! Dès 1947, Michèle Morgan ou Jean Paul Sartre s’affichent au soleil sur la plage et rapidement, le bikini devient l’apanage des Starlettes !

Pourtant, malgré ces distractions estivales les séances en tenue de gala sont bel et bien institutionnalisées en soirée et demeurent jusqu’à ce jour parmi les plus importantes traditions Cannoises.

Qui veut la peau de Pablo Picasso ?

Le fantasque Pablo Picasso sera l’un des premiers à briser le code de la tenue de soirée. La légende veut qu’en 1953, pour assister à la projection du Salaire de la Peur d’Henri-Georges Clouzot, l’artiste se soit fait délivrer une dérogation l’autorisant à entrer au Palais vêtu d’une pelisse de mouton.

Pourtant, la même année, comme en témoigne l’échange argumenté ci-après,  Favre le Bret, alors délégué Général du Festival, se montre moins indulgent avec un journaliste qui lui fait part de son incompréhension quant au code vestimentaire !

Les excentriques du Tapis Rouge

D’autres refuseront, comme Henry Miller, membre du Jury 1960, qui se fait refouler le soir de l'ouverture faute de porter un smoking ou encore Armand Gatti qui ne revêt pas l’habit en 1963 2, mais sans doute, ceux dont on se souvient le mieux sont ceux qui ont foulé les Marches vêtus entre humour et hommage.

En 1991, Madonna provoque une mémorable secousse sur la Croisette. Alors qu’elle foule le Tapis Rouge drapée dans un manteau de soie rose pour la projection du film In Bed With Madonna, la Madone dévoile en haut des marches le soutien-gorge conique qui deviendra la signature du couturier Jean-Paul Gautier.

Madonna, Alex Keshinian - In Bed With Madonna © Gérard Julien / AFP
Madonna, Alex Keshinian - In Bed With Madonna © Gérard Julien / AFP

L’actrice Espagnole Victoria Abril, muse de Pedro Almodovar, n’a de cesse de lier humour et provocation pour déjouer le code vestimentaire Cannois.

En 1991, Lars Von Trier revient pour la seconde fois sur la Croisette pour la présentation d’Europa. Le réalisateur racontera plus tard qu’il a trouvé le courage de monter les marches grâce au smoking qu’il portait, qui n’était autre que celui du maître absolu du cinéma danois… Carl Theodor Dreyer !
 

« Comme fruit de sa dernière collaboration avec le regretté Carl Dreyer, Henning Bendtsen, le chef opérateur d’Europa, avait reçu un cadeau des mains mêmes du maître. C’était le vieux smoking de Dreyer confectionné à Paris, en 1926. Dreyer ne pensait plus en avoir besoin. En un geste amical et touchant, Henning Bendtsen me l’avait passé et, bien sûr, c’était le smoking que je portais ce soir-là sur les Marches. » 3

Cela lui porta bonheur puisqu’il remporta le Prix du Jury Ex-Aequo cette année-là !

1- BRUN Mario, BRESSON Jean, Les vingt marches aux étoiles, La fabuleuse histoire du Festival de Cannes, p. 55
2 – BRUN Mario, BRESSON Jean, Les vingt marches aux étoiles, La fabuleuse histoire du Festival de Cannes, p. 54
3 – JACOB Gilles (dir), Les visiteurs de Cannes, Cinéastes à l’œuvre, Editions Hatier, Paris 1992, p.64-66
Illustrations:
Correspondance entre Robert Favre Le Bret et un journaliste : Archives Administratives du Festival consultables à la Cinémathèque Française: FIFA 253 259 B37