Annette, la partition ténébreuse de Leos Carax

Photo du film Annette © CG Cinéma International

 

Neuf ans après Holy Motors, fascinante déclaration d’amour adressée au 7e Art, le cinéaste ouvre en majesté le Festival de Cannes avec Annette, un drame musical ombrageux tourné en anglais et propulsé par la pop baroque des Sparks.

Si la musique a toujours innervé l’œuvre tragico-romantique de Leos Carax et parsemé certaines de ses réalisations de sublimes entre-deux poétiques – comme la course effrénée de Denis Lavant dans Mauvais Sang (1986) sur Modern Love, de David Bowie -, jamais elle n’avait encore officié en véritable partition de l’un de ses longs métrages, au nombre de six seulement en trente-cinq ans.

C’est désormais chose faite avec Annette, opéra-rock presque entièrement chanté que le cinéaste a mis en scène en s’appropriant le scénario et les compositions du duo américain Sparks, dont l’excentricité sonore navigue, depuis sa formation en 1968 par les frères Ron et Russel Mael, entre influences électroniques, expérimentales et rock.

Film organique tout en ruptures, hanté par les multiples identités endossées par Denis Lavant, Holy Motors (2012) était venu rappeler à quel point Leos Carax est l’un des auteurs français parmi les plus singuliers de sa génération, mais aussi l’un des plus incompris ou mal aimés.

Près de dix ans plus tard, cette étape musicale inédite, à la fois enchantée et horrifique, vient à nouveau mettre en lumière la sensibilité sans commune mesure du réalisateur, dont l’univers empreint d’une poésie et d’un romantisme parfois crus envoûte chacun de ses projets.

Soit l’histoire d’Henry (Adam Driver) et Ann (Marion Cotillard), un comédien de stand-up provocateur et une cantatrice de renommée mondiale parvenus au firmament d’Hollywood après être tombés follement amoureux, qui voient leur quotidien transformé par l’arrivée de leur premier enfant, prénommée Annette.

À mesure que le don naturel de la petite fille se révèle et que s’écrit le destin exceptionnel qui lui est promis, la vie du couple – et en particulier de son père, un artiste fin d’esprit mais tourmenté par de vieux démons – bascule, entraînant le film aux confins du fantastique.

L’image de ce drame sombre, baignant dans d’intenses teintes vertes et noires qui rappellent celles du (faussement) mélancolique Holy Motors, a été confiée à Caroline Champetier, dont c’est la troisième collaboration avec Leos Carax depuis Merde, le segment tourné pour le film à sketches Tokyo ! (2009).

Avec Annette, le réalisateur signe une invitation au voyage qui emporte le spectateur dans un tourbillon fiévreux sur l’amour conjugal et la paternité. Et prouve qu’il demeure un chef d’orchestre à l’originalité incomparable, dévoué à extraire le meilleur de ses instrumentistes.