Babi Yar. Contexte : décrypter les prémices de l’horreur

Photo du film Babi Yar. context © ATOMS & VOID

 

Dans ce documentaire saisissant, réalisé sur la base d’images d’archives sonorisées, le cinéaste Sergei Loznitsa raconte les mois qui ont précédé l’extermination de plusieurs centaines de milliers de juifs d’Ukraine durant la Seconde Guerre mondiale. En particulier ceux qui ont péri au cours du tristement célèbre massacre de Babi Yar, à Kiev, les 29 et 30 septembre 1941.

Quand avez-vous eu l'idée de Babi Yar. Contexte ?

Il y a huit ans. Je débutais l’écriture d’une fiction autour du massacre du ravin de Babi Yar. Pour cela, j’avais été consulter de nombreux documents et j'avais compilé un nombre assez conséquent de séquences qui avaient été tournées en Ukraine entre 1941 et 1943 pendant l’occupation allemande. Puis, il y a un an, j’ai été contacté par Ilya Khrzhanovsky, le directeur artistique du mémorial de l’Holocauste de Kiev. Sa sollicitation coïncidait avec le début de la pandémie, qui allait décaler le tournage de mon film d’au moins un an. Je me suis dit que monter un documentaire basé sur les films d’archives que j’avais accumulés était une bonne idée. Ilya Khrzhanovsky a donné son accord et le travail a débuté.

D’où proviennent les séquences utilisées ?

Nos documentalistes ont fouillé dans les archives nationales allemandes, russes et ukrainiennes. J’ai dû visionner des dizaines d’heures de séquences tournées au moment de l’occupation de l’URSS par des cameramen professionnels, des officiers allemands ou des soldats qui avaient filmé avec leur caméra 16 mm sur la ligne de front. Mais aussi des bobines de Die Deutsche Wochenschau, le magazine d’actualités de la propagande nazie qui était produit en Allemagne et distribué dans tout le territoire occupé par le IIIe Reich. Certaines d’entre elles avaient été préservées dans de très bonnes conditions. D’autres étaient partiellement endommagées. Leur restauration a duré plusieurs mois.

Quel a été votre fil conducteur ?

La reconstruction des événements qui ont mené au massacre. J’ai voulu replacer cette tragédie dans son contexte. Je me suis mis en quête d’images qui témoignent de la vie à Kiev et dans l’Ukraine occupée au cours des premiers mois de l’invasion allemande. Nous avons également déniché des séquences du procès de Kiev, qui s’est tenu après la guerre, en 1946.

Lorsque vous évoquez le massacre, vous utilisez des photographies. Pourquoi ?

Officiellement, il était interdit de filmer les tueries de masse. Nous n’avons donc pas d’autres images qui documentent le massacre de Babi Yar que la série de photos prises quelques jours après. Ceci dit, nous avons réussi à dénicher des séquences qui documentent celui de Lvov.

L’une des immenses réussites de ce documentaire est le travail effectué sur le son…

La plupart des séquences n’étaient pas sonorisées et comme je n’utilise jamais de voix off dans mes documentaires, nous avons été contraints de concevoir le son de nombreuses scènes. Avec Vladimir Golovnitski, avec qui j’ai réalisé vingt films, nous avons mis en place une méthode de création sonore. Il a conçu l’atmosphère et le son de chacun de nos films en les rendant vivants. Son travail apporte la sensation au spectateur que la scène se déroule devant ses yeux.

Que reste-t-il du massacre de Babi Yar dans la mémoire du peuple ukrainien ?

La société ukrainienne doit encore trouver un moyen d'amorcer une discussion ouverte sur l'Holocauste et le rôle que le peuple ukrainien y a joué. C'est un sujet très complexe et très douloureux, mais qu’il faut l'aborder.