Ce que le Festival nous dit de l’état du monde

Photo du film Ghahreman (Un Héros) © Amir Hossein Shojaei

 

Raconter le monde qui nous entoure, ses enjeux actuels, ses fêlures quotidiennes. Telle est l’une des vocations du cinéma. Chaque année, le Festival de Cannes prend le pouls de nos sociétés. Il reflète sur les écrans les préoccupations de ces trois dernières années, mêle l’intime au collectif, sur tous les continents.

Nadav Lapid étrille la politique israélienne

Un film dans le film. Ha'berech (Le Genou d’Ahed) s’ouvre sur une scène de casting. De jeunes comédiennes se succèdent pour interpréter Ahed Tamimi, la jeune palestinienne qui avait fait le tour du monde des journaux télévisés en 2017 après avoir giflé un soldat israélien. Face à la directrice de casting, les prétendantes doivent jouer une scène où un général, en représailles, brise le genou du personnage. Nadav Lapid pointe à travers cette mise en scène purement fictive l’absurdité de la proposition du député Bezalel Smotrich, qui estimait que la jeune rebelle méritait « une balle dans le genou ». Le protagoniste du film est le réalisateur de ce projet de fiction, vent debout contre la menace de censure qu’il encourt. Nadav Lapid dénonce ainsi les menaces sur la liberté d’expression, les mêmes qu’il a vécues avec le ministère de la Culture. Il canalise cette critique dans une tirade tempétueuse attribuée à son personnage principal, sans concession contre la politique gouvernementale et contre une société qu’il juge étriquée.

Asghar Farhadi dénonce l’hypocrisie à tous les étages

Ghahreman (Un Héros) porte un regard cru sur toutes les composantes de la société iranienne, au fil du parcours labyrinthique d’un homme emprisonné à cause d’une dette impayée. Pour se sortir de cette situation, il va tout tenter, le temps d’une permission de deux jours. L’univers carcéral, le jeu médiatique, le monde associatif, tous montrent tour à tour une ambivalence. Si tout contribue à compromettre la rédemption de ce Héros, lui-même n’est pas épargné par la critique d'Asghar Farhadi, pas plus que ses proches, à l’image d’une société partagée entre bonne foi et lâcheté profonde. Ils ne sauraient voir leur probité et leur honneur remis en question.

Le conte féministe de Mahamat-Saleh Haroun

Derrière la fresque aux couleurs des faubourgs de N’Djamena, Lingui, les liens sacrés est résolument politique. Mahamat-Saleh Haroun raconte le bouleversement vécu dans la famille d’Amina après que cette adolescente tombe enceinte. L’avortement qu’elle désire ne sera pas possible, c’est un double interdit au Tchad, condamné par l’État et par la religion. Le droit des femmes à disposer de leur corps est au cœur de ce film, dans la lignée du court métrage Maral Tanié. En 1994, le réalisateur y dépeignait le mariage forcé d’une jeune femme de 16 ans avec un homme d’une cinquantaine d’années. En 2017, Mahamat-Saleh Haroun a été nommé ministre de la Culture dans son pays et a rapidement démissionné pour « raisons personnelles ». Son arme politique, c’est définitivement sa caméra.

La France fracturée dans l’œil de Catherine Corsini

Le pays qui accueille le Festival de Cannes a été traversé ces dernières années par plusieurs crises sociétales. La Fracture de Catherine Corsini en concentre deux. Celle du système hospitalier, fragilisé décennie après décennie, à coup de restrictions budgétaires et d’effectifs. Le film illustre cette réalité devenue critique avec la pandémie mondiale, à la fois usante pour les personnels qui se sentent abandonnés et démunis face à des patients en détresse. L’autre crise dans La Fracture, c'est celle des Gilets jaunes, plus grand mouvement de contestation depuis mai 68.

Quid de la crise sanitaire du Covid-19 ?

Si aucun film n’est encore dédié au phénomène, le sujet s’invite en toile de fond. Les masques font leur apparition sur les visages de certains interprètes dans Les Intranquilles, de Joachim Lafosse. Un autre long métrage fait écho à la crise sanitaire, Bi-Sang-Seon-eon (Emergency Declaration), du Coréen Jae-rim Han, tristement prémonitoire. Il nous plonge à bord d’un avion où les passagers sont contaminés par un étrange virus. La production avait été lancée en 2019, bien avant le début de la pandémie mondiale. 

Prendre le pouls de la planète, c’est aussi montrer les ravages sur les écosystèmes et mettre en valeur ceux qui défendent la planète. Telle est la vocation de la sélection éphémère « Cinéma pour le climat ». Une fiction et six documentaires engagés, éclairants, sans faire l’impasse sur la poésie et l’esthétique propres au cinéma.