Dead Souls, portrait des survivants des camps de rééducation en Chine

Photo du film Dead Souls (Les Âmes Mortes)

Qualifiés « d’ultra-droitiers » lors de la politique anti-droitiers de 1957 en Chine et contraints aux travaux forcés, les rares survivants des camps de rééducation livrent leurs expériences tragiques, face à la caméra du réalisateur Wang Bing. Dead Souls (Les Âmes mortes), c’est l’histoire d’une nation meurtrie par son passé, capturée en 8h16 et présentée en Séance Spéciale.

Comment avez-vous procédé à la réalisation de ce documentaire ?

À l’occasion du tournage de ma fiction Le Fossé, en 2005, j'ai fait la connaissance de survivants du camp de rééducation de Jiabiangou. Ces évènements ayant eu lieu avant ma naissance, je souhaitais rassembler le maximum d'informations sur la réalité de ce camp. J’ai alors recueilli les récits de rescapés que j’ai filmés avec une petite caméra numérique.
Au début du tournage, je n’avais pas encore trouvé de financements et nous devions prendre en charge nos frais. C’est pourquoi nous avons dû opérer avec une équipe réduite et un matériel très limité. Entre 2005 et 2008, nous avons filmé plus de 120 personnes, avant de poursuivre d’autres périodes de tournage qui se sont étalées jusqu’en 2017.

Comment êtes-vous entré en contact avec les survivants que vous filmez ? Comment les avez-vous convaincus de témoigner face à votre caméra ?

Certains survivants m’ont mené à en rencontrer d’autres. Cependant, les faits remontent à plus de cinquante ans. Alors au moment de les filmer, ils étaient déjà âgés et étaient dispersés dans des régions différentes de la Chine. Pour certains, les contacts qu’ils entretenaient entre eux étaient devenus plus rares voire inexistants, ce qui a rendu ma quête pour les retrouver plus sinueuse. De plus, au vu des conséquences psychologiques laissées par les différentes campagnes politiques qu’ils ont traversées, il m’a fallu plus de temps pour gagner, petit à petit, leur confiance.

À l’Ouest des rails dure 9h11, À la folie 3h47 et Dead Souls (Les Âmes mortes) 8h26. Quels sont les moyens employés pour maintenir l’attention du spectateur ? Pouvez-vous nous parler du choix du format de votre film et de sa durée ?

Il se trouve que j'avais accumulé pour ces films beaucoup d'heures de rushes et que les histoires que je voulais raconter ne rentraient pas dans un format classique, d’une durée plus réduite. Ma longue expérience de réalisateur me dit qu'un film long doit avoir une forme narrative et un langage simple et précis. Selon moi, c'est la seule façon pour que les spectateurs puissent suivre une histoire riche et complexe pendant des heures.

Vos films exposent une réalité de la Chine qui n’est pas forcément celle renvoyée par l’Etat. Cela comprend-il des risques ?

J'ai toujours fait mes films en fonction de ma propre compréhension du cinéma. Les personnes que je montre à l'écran sont toutes issues des classes inférieures de la société et leur vie est représentative de celle de la majorité des chinois ordinaires. Dans mes œuvres, je ne dissimule rien et je n'exagère rien. Je fais du cinéma depuis dix-huit ans et le tournage de mes films s'est toujours déroulé librement et sans obstacles.