Freda, le regard de Géssica Généus

Photo du film Freda © SaNoSi Productions

 

Pour son premier long-métrage de fiction au cinéma, l’actrice et réalisatrice Géssica Généus explore la question de la reconstruction : celle du peuple haïtien après la catastrophe de 2010, celle de Freda, jeune femme confrontée à la précarité et l’insécurité des quartiers populaires. 

Racontez-nous la genèse de votre film.  

Mes films partent toujours d’un questionnement obsessionnel : l’idée de se reconstruire sur les vestiges de son traumatisme. Les haïtiens doivent se construire sur cette terre où ils ont été humiliés, maltraités, réduits en esclavage. Tout comme Freda doit transcender sa colère contre sa mère qui n’a pas su la protéger d’un viol. Je voulais créer une histoire qui deviendrait comme un miroir d’observation pour ceux qui, comme moi, cherchent à comprendre comment habiter ce pays où tant de mal a été fait, comment habiter un corps porteur de tant de blessures.  

L’atmosphère du tournage ? Une anecdote de plateau ?  

La seule façon de faire ce tournage selon moi, c’était de créer une famille artistique d’individus passionnés et aussi fous que moi. Filmer en Haïti en temps de crise relève de la pure folie. Ce tournage était un vrai espace d’entraide et de combat quotidien. Un soir, un voisin avait décidé de mettre la musique à fond alors que nous n’avions pas fini de tourner. Tout le monde a essayé de le convaincre de baisser la musique sans succès jusqu’à ce que je sorte : finalement, il a accepté. Mais au moment de remballer, ses frères sont venus et ont appris ce qui s’était passé. Ils étaient tellement en colère contre lui qu’ils ont failli se battre. En essayant de calmer les choses, ils m’ont dit : « Il sait qui tu es et ce que ce film raconte, il n’a pas le droit d’importuner ton équipe et d’amener la honte sur notre famille. ». Ce sont des moments comme celui-là qui nous ont donné de la force. Parce que nous savions que nous n’étions pas seuls.  

Qu’avez-vous appris durant la réalisation de ce film ?  

Ce n’est pas celui qui a le plus de talent qui réussit mais celui qui le veut le plus.  

Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ? 

J’ai envie d’explorer le rapport des humains, des Haïtiens, avec la moralité. La religion, la prostitution et l’homosexualité. Qu’est-ce qu’on accepte, qu’est-ce qu’on rejette, et pourquoi ?  

« Ce n’est pas celui qui a le plus de talent qui réussit mais celui qui le veut le plus.  »

Quelle question aimeriez-vous poser au réalisateur de votre choix ?  

J’aimerais dire à Spike Lee que je sais que tout le monde adore Do the Right Thing, mais que c’est avec Crooklyn qu’il a volé mon cœur d’artiste et m’a insufflé le désir de réaliser. Et aussi à Waad Al-Kateab et Edward Watts, que Pour Sama (en Sélection officielle en 2019) a sauvé mon film. Je l’ai vu deux semaines avant le tournage, à un moment où j’étais vraiment perdue et dépassée. Mais le courage incommensurable dont ils ont fait preuve en faisant ce film m’a donné une force de titan !