Les Huit Montagnes, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch au cœur d’une amitié indéfectible

Photo du film LE OTTO MONTAGNE (LES HUIT MONTAGNES) de Felix VAN GROENINGEN et Charlotte VANDERMEERSCH © DR

Dans Le Otto Montagne (Les Huit Montagnes) - et pour leur première sélection en Compétition -, les cinéastes belges Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch explorent à travers le temps les liens qui unissent deux amis d’enfance. Un film où la montagne s’impose comme un écrin majestueux à cette relation indéfectible, incarnée à l'écran par Luca Marinelli et Alessandro Borghi.

Le Otto Montagne est l’adaptation du roman éponyme de Paolo Cognetti paru en 2016. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire ?

F.Van Groningen : Absolument tout ! Je reçois toujours beaucoup de propositions et la plupart du temps, j’ai besoin qu’il y ait une forme d’évidence qui me pousse à m’intéresser à chacune d’entre elles. On m’avait déjà proposé de me pencher sur ce roman et j’avais commencé à le lire, puis je l’avais finalement mis de côté. Un an plus tard, quelqu’un m’a appelé pour me dire qu’il en possédait les droits et m’a proposé de réaliser une adaptation. Pour moi, c’était un signe qu’il fallait désormais que je m’y plonge à nouveau. J’ai donc terminé sa lecture et cette histoire m’a profondément émue car elle explore des thèmes que j’avais déjà abordés dans certains autres de mes longs métrages. Elle évoque tout ce dont j’avais alors envie de parler. Je me trouvais dans une période assez noire de ma vie et je ressentais une urgence à consacrer mon temps à quelque chose de pur, sans cynisme. C’est exactement ce que j’ai trouvé à tous les niveaux de ce roman et j’ai immédiatement accepté l’idée d’en faire un film.

Justement, l’amitié entre les deux protagonistes est très pure. Elle se déploie dans un respect mutuel malgré les années qui passent et les choix de chacun…

Charlotte Vandermeersch : Il y a beaucoup de silences entre eux et ils vivent chacun leur vie. Mais ils attachent beaucoup d’importance au fait de se revoir et ces rencontres ont toujours un impact. Je trouvais beau qu’on essaye de répondre à cette question : qu’est-ce que cela signifie « être amis » ? Pour moi, c’est un peu comme créer une famille. Une amitié, c’est une expérience magnifique que la vie nous donne à vivre. Parfois, elle nous éloigne de nos amis et constater que rien n’a changé quand on se retrouve, c’est un sentiment merveilleux. Pour moi, ce film évoque le fait de grandir et de trouver sa place dans le monde.

Pourquoi avez-vous choisi d’adapter le roman en italien ?

F.VG : Je me suis posé la question de l’adapter en anglais, mais il m’aurait fallu délocaliser le récit et les personnages. Tourner en Italien, là où se passe cette histoire, m’est apparu comme essentiel. Le roman est tellement authentique que tourner ailleurs qu’en Italie perdait de son sens. L’authenticité, c’est très important dans mon processus de travail. Dans le livre, on sent que l’auteur connaît les personnages dont il parle.

Comment avez-vous préparé le film ?

F.VG : Avec Charlotte, nous nous sommes rendus dans le Val d’Aoste pour rencontrer Paolo Cognetti et voir les lieux qu’il décrit. Il s’est montré très ouvert à notre projet et nous a emmenés en balade pour voir le lac où nous avons d’ailleurs tourné.

Vous avez choisi des acteurs qui ont un tempérament physique très vertical, un peu comme les montagnes du film…

F.VG : Il fallait effectivement que les acteurs soient physiquement présents. Le casting a été un processus assez long, même si leurs noms figuraient déjà dans la liste établie par notre directeur de casting. Nous avons vraiment pris notre temps pour les laisser être qui ils sont individuellement et qui les personnages sont lorsqu’ils sont ensemble. Nous avons d’abord choisi Luca, qui est au cœur du film, puis nous avons commencé à bâtir autour de lui. Nous avons effectué beaucoup de travail pour nourrir son personnage et voir ce qui allait fonctionner. Puis Alessandro, qui joue Bruno, est arrivé et soudain, nous nous sommes rendu compte qu’il existait une alchimie incroyable entre eux. Ils sont amis dans la vie et ils avaient déjà joué ensemble dans un film célèbre italien – Non essere cattivo. Mais nous ne voulions pas prendre ces automatismes pour acquis. Il fallait que cette alchimie naturelle entre eux marche aussi pour ce film.

Comment ce sont-ils préparés ?

F.VG : Ce sont des personnalités très différentes. Luca est venu vivre dans les montagnes avec nous et Alessandro est arrivé une semaine avant le tournage ! Il s’est préparé d’une toute autre manière et pourtant, son interprétation est incroyable. Mais cela faisait partie du voyage !

Et de votre côté ?

F.VG : Nous avons décidé de tourner le film en italien dans un monde cinématographique que nous devions absolument explorer. Nous avons donc regardé beaucoup de films italiens pour ajuster nos sens.

« En raison de la verticalité des montagnes, nous avons choisi d’élargir le cadre par le haut ».

Le film s’engage avec une communauté d’esprit particulière : celle de la montagne. Vous la montrez comme un écrin dans lequel les personnages trouvent refuge, mais cela n’est jamais pittoresque à l’image. Comment vous avez fait pour éviter cela ?

F.VG : Le choix du cadre a été un moment important et il nous a surpris nous-même. Avec Ruben Impens, le chef opérateur, nous avons tout remis en question. Nous nous sommes demandé quel serait le meilleur ratio d’image pour tourner un film dans les montagnes. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’en raison de leur verticalité, il fallait que le cadre soit élargi par le haut. Au cinéma, nous avons l’habitude de voir les montagnes au travers dans de magnifiques cinémascopes. En optant pour un ratio plus vertical, nous avons également misé sur une participation plus active du spectateur.

Vous montrez également la partie plus sombre de la montagne…

C.V : Ce côté existe aussi dans le livre car cela fait partie de la réalité sur place. Lors des repérages, nous avons visité des villages trop pittoresques ou trop romantiques et cela sonnait faux. Nous sommes allés vivre quelques mois avant le tournage à Grana, le village choisi. Nous voulions capter l’essence de ce lieu et de ses habitants. Cela a été un long travail. Nous voulions percevoir la beauté de ce lieu qui également un côté isolé, sombre et dangereux. Mais aussi nous rendre compte de la grande mélancolie de ses habitants, qui pour certains y vivent seuls.

Comment s’est déroulé le tournage ?

F.VG : Nous avons construit une maison à 2.000 mètres d’altitude. Nous sommes montés sur le glacier pour tourner certaines séquences du film et avons passé la nuit dans un refuge à 3000 mètres d’altitude pour filmer le lever du jour. Il y avait cette détermination à faire un film aussi réel que possible et pour cela, il fallait que toute l’équipe le vive. C’était beau et pur, mais aussi très frustrant car les montagnes dictaient tout : le temps, ou encore la lumière. Il nous a donc fallu être flexibles car c’est aussi ce côté de la montagne que le film devait montrer. C’est pour cette raison que son atmosphère est si singulière. Nous avons tourné en cinq blocs, de juin à décembre 2021.

Un mot sur la musique du film, composée par le suédois Daniel Norgren ?

F.VG : Nous avions sa musique dans les écouteurs lorsque nous avons débuté l’écriture du scénario. Pour nous, il était évident que nous devions travailler avec lui.

C.V : C’est un artiste Suédois qui vient également de la montagne. Il vit au milieu de la forêt et il écrit ses chansons en marchant dans les bois. Cela faisait vraiment sens de lui proposer de collaborer au film. Nous avons pensé qu’il allait comprendre ce que nous recherchions et qu’il allait pouvoir apporter son monde vocal et instrumental à notre histoire. On a donc un Suédois chantant en anglais dans un film italien fait par deux Belges ! C’est plutôt drôle ! Mais c’est aussi l’exemple d’une belle collaboration européenne.