Les Poings Desserrés, le regard de Kira Kovalenko

Photo du film Razzhimaya Kulaki (Les poings désserrés) © DR

 

Pour son second long métrage après Sofichka (2016), la cinéaste russe Kira Kovalenko ausculte le poids de la liberté au sein du noyau familial. Les Poings Desserrés narre l’histoire de Zaur, un père de famille qui décide de déménager avec ses trois enfants dans une petite ville minière du nord de l’Ossétie après un événement traumatique.

Quel est le point de départ de votre film ?

Un passage de L’Intrus (1948), le roman de William Faulkner. Il suggère que la liberté est un fardeau parfois plus lourd à porter que l’esclavage. Cette idée n’a cessé de m’habiter pendant que je travaillais sur le film et m’a amené à me questionner sur le poids de la mémoire. J’avais aussi en tête une visite marquante dans une petite ville minière d’Ossétie, située dans une sorte d’immense ravin. Un groupe d'immeubles s’y dresse derrière un haut mur. Cet endroit ressemble à une boîte dans laquelle on peut facilement se cacher pour se protéger. J’ai imaginé qu’une histoire pourrait s’y dérouler.

Qu’avez-vous souhaité montrer ?

Les liens qui unissent des personnages ayant vécu un événement difficile et qui tentent de se réconcilier avec le traumatisme que celui-ci a causé. Ils en sont sortis brisés d’une manière telle que toutes les relations au sein de la famille sont dictées par ce qui s’est passé. Mais leurs tentatives pour oublier débouche sur un acte de violence qui, assez paradoxalement, est aussi un acte d'amour.

Un mot sur vos acteurs ?

Milana Aguzarova, qui interprète Ada, étudie le théâtre dans une université à Vladikavkaz. Quand je l'ai invitée à rejoindre le casting, j'avais un tout autre rôle en tête pour elle. Nous avons commencé à échanger ensemble et j'ai réalisé que je faisais fausse route. J'avais l'impression que deux personnes, l'une disposant d'une force incroyable, et l’autre d’une grande fragilité, habitaient son corps. Alik Karaev, qui joue le rôle du père, est un acteur de théâtre. J'ai immédiatement ressenti une connexion forte avec lui. J'ai vu beaucoup de lumière et de compréhension en lui.

Comment avez-vous repéré les comédiens amateurs du film ?

Mon équipe a sillonné l'Ossétie et s’est rendue là où les groupes de jeunes passent habituellement leur temps. Elle a rapporté de ce voyage des milliers de photographies. Comme j'avais une idée très précise du physique de mes personnages, un coup d’œil à ces photographies a suffi. Peu importe la façon dont les auditions s'étaient déroulées.

Pourquoi êtes-vous devenue réalisatrice ?

Mon intuition m'a poussé à postuler dans l’école de réalisateurs d'Alexandre Sokourov. Je n'aimais pourtant pas beaucoup le cinéma. Au cours de notre première année d’études, nous avons visionné un film d'actualités datant de 1901. Dans une séquence, un jeune garçon saluait la caméra d’un signe de la main. Je me suis dit que le cinéma avait permis d’enregistrer et de conserver ce moment à jamais. Voici ce qui m’inspire encore aujourd’hui.

Quel regard portez-vous sur l’industrie cinématographique russe ?

J’aimerais que les jeunes russes aient plus d'opportunités de réaliser des films afin qu'il leur soit plus facile d’évoquer librement les problèmes qui les concernent vraiment. Je souhaite que l’industrie change pour que les jeunes cinéastes n'aient pas à attendre des années pour réaliser leurs premiers films.