L’Espagne d’une autre époque : ‘El camino’, hommage à Ana Mariscal

Photo du film El camino (Le chemin) © Bosco Films

 

Pionnière du cinéma ibérique, l’actrice, réalisatrice, scénariste et productrice espagnole Ana Mariscal mit en scène dix films aussi anticonformistes que visuellement splendides. Cannes Classics lui rend hommage en projetant El Camino. Entretien avec son fils, David García Rodríguez, qui présente la copie restaurée du film sorti en 1963.

Votre mère fut productrice sous Franco, à une époque particulièrement conservatrice en Espagne : comment a-t-elle su s’imposer en tant que femme ?  

Ma mère avait déjà une longue carrière d’actrice derrière elle quand elle décida, au côté de mon père qui était alors son petit ami, de produire son propre projet. C’était un projet que l’on rangerait aujourd’hui dans la case « ciné indépendant », bien loin du cinéma grandiloquent qui était alors de mise dans l’industrie cinématographie espagnole. 

Une fois le projet lancé, ma mère envisagea de passer derrière la caméra. Elle me disait toujours que cette décision avait été prise naturellement, sans que sa condition féminine n’influe sur la décision. En revanche, quand elle filmait, elle instillait une vision toute féminine. 

Comment produisait-elle ses films, concrètement ?

Les projets étaient financés par la famille et les amis. Ma mère et mon père Valentín Javier étaient associés, ils décidaient ensemble des projets et des investissements. Il ne faut pas oublier les limites juridiques qui existaient en Espagne à l’époque, une femme ne pouvait pas signer de contrats et réaliser des transactions si facilement. Mon père se chargeait donc essentiellement de l’aspect financier, et ma mère des relations avec l’administration et les médias, du casting, du scénario, de la musique, des lieux de tournage… 

El Camino est un film réaliste par choix mais aussi pour des raisons financières. Tout a été tourné en décor naturel : les rues et maisons madrilènes, une lumière d’ambiance et c’est tout…  C’est à mes yeux un grand film, mais il fait partie de ces projets indépendants qui ne trouvèrent pas de distributeur car jugés trop peu commerciaux, avec une thématique inappropriée. Il ne fut jamais projeté dans les salles. 

Quand vous étiez enfant, vous rendiez-vous compte du caractère exceptionnel de la vie et de la personnalité de votre mère ? 

Pas vraiment, mais il est vrai que pendant que les mères de mes amis préparaient le goûter à la maison, la mienne voyageait beaucoup, avait des horaires bizarres et passait parfois à la télé…. J’allais souvent sur les lieux de tournage, c’était un monde fascinant pour un enfant, même si les journées pouvaient se révéler interminables. J’ai eu une enfance et une adolescence aussi difficiles que passionnantes, celles d’un enfant de comédiens. 

Pouvez-vous nous parler d’El Camino

J’ai des souvenirs très nets des lieux de tournage à Candelada en Ávila alors que je n’avais que trois ans. Le passionnant roman de Miguel Delibes, El Camino, conte les derniers jours d’enfance heureuse du protagoniste qui se prépare à quitter son village pour étudier en ville. Le film reflète cette histoire, le souvenir idéalisé d’un village d’Espagne dans les années 1960, les paysages, la vie quotidienne, ses habitants… Avec, en plus de tout cela, une splendide troupe d’acteurs…