Nicole Le Garrec et la bataille de Plogoff

Photo du film Plogoff, des Pierres Contre des Fusils © DR

1980. Voici deux ans que les habitants de la petite commune bretonne de Plogoff s'insurgent contre un projet d'implantation de centrale nucléaire. Nicole Le Garrec, la réalisatrice de Plogoff, des pierres contre des fusils, évoque les coulisses de son documentaire sur cette insurrection inédite, tourné en plein cœur de la grogne.

Pourquoi ce documentaire ?

J'ai trouvé qu'il y avait un vrai sujet à faire sur ces habitants qui entraient en résistance alors qu'ils avaient toujours été dans l'obéissance de la hiérarchie. Pourquoi s’insurgeaient-ils quand d'autres, ailleurs, acceptaient ces centrales ? J'ai eu envie de me pencher sur ce moment de bascule que je trouvais intéressant et rare.

Comment l'expliquez-vous ?

Tout d'abord, par leur attachement à Plogoff. Puis par leur mode de vie, qui s'opposait aux grands bouleversements de la société. Ils se fiaient à leur bon sens et n'entendaient pas qu'on leur impose ce genre de projet aussi facilement. Ils avaient été marqués par les marées noires. Avec l'invisibilité de la radioactivité, ils se sont dit qu'il ne fallait pas rester sans rien faire.

Ce film témoigne de deux mondes qui s'opposent…

À l'époque, on était déjà plus si admiratif du progrès. Les modes de vie anciens reprenaient de l'intérêt. Je le goûtais tous les jours dans cette ferme où nous étions accueillis, qui jouxtait le lieu des affrontements. On y avait installé une salle de montage et d'enregistrement.

Dans quelles conditions avez-vous tourné ?

On n'avait pas un centime. On s'était endettés au point d'hypothéquer notre maison. Mais cela faisait dix ans qu'on se préparait à faire du cinéma sur le vif et on était riches de ça. Et puis il y avait sur place un tel sentiment d'entraide qu'on a été portés.

Combien de temps a duré le tournage ?

Six semaines, soit le temps de l'enquête d'utilité publique. Une retraitée qui possédait un corps de ferme a proposé de nous loger. Nous étions trois : mon mari Félix, qui cadrait, Jacques Bernard, le preneur de son et moi-même. On filmait aussi la vie de tous les jours, ce quotidien d'avant le conflit. Pour témoigner d'où ils partaient.

Durant ces respirations, on prend la mesure de la maturité de leur combat…

La force des habitants de Plogoff et des militants était qu'ils savaient alterner les moments de lutte et de réflexion. Ils avaient compris qu'il était important de ne pas être en opposition frontale sans arrêt, pour éviter l'endurcissement.

Pourquoi ne donnez-vous jamais la parole aux forces de l'ordre ?

Pour éviter d'avoir à faire avec la langue de bois de leur hiérarchie. Il y avait aussi une volonté de préserver la caméra, qui était menacée par leurs grenades lacrymogènes. Si on la perdait, le film s'arrêtait.

Pourquoi cette ouverture sur le conflit au Larzac ?

Les gens de Plogoff s’étaient nourris du combat des paysans du Larzac. Il a donné un souffle à leur mouvement. Ils découvraient que d'autres se battaient aussi sur du long terme. Des liens s'étaient créés entre eux. J'avais envie de montrer ces moments d'oxygène, de fraternité.

Comment le film a été accueilli par les habitants de Plogoff ?

Une fois projeté à Plogoff, le film a coupé son cordon ombilical. Les gens pleuraient. Pour eux, c'était plus qu'un film. Une sorte de passion est née et m'a dépossédée de mon projet.
 

Une présentation de Ciaofilm. Restauration 2K d’après le négatif image original 16 mm. Restauration son à partir du magnétique 16 mm. Travaux réalisés par le laboratoire Hiventy sous la supervision de Ciaofilm et de Pascale Le Garrec avec l’aide du CNC, de la Région Bretagne et de la Cinémathèque de Bretagne. Distribution salles : Next Film Distribution.

En présence de la réalisatrice Nicole Le Garrec.