Rencontre avec Andrey Zvyagintsev, membre du Jury des Longs Métrages

Andrey Zvyagintsev - Membre du Jury des Longs Métrages © François Silvestre De Sacy /FDC

Lion d’or à Venise en 2003 pour Le Retour, un premier long métrage mené après des études de théâtre, Andrey Zvyagintsev s’est imposé depuis comme le nouveau chef de file du cinéma russe. Comparé à Tarkovski, le cinéaste s’est ensuite éloigné de ce lourd héritage en quatre films : Le Bannissement (2007), Elena (2011), Leviathan (2014) et Faute d’Amour (2017), tous primés à Cannes. Le réalisateur évoque sa carrière et l’industrie du cinéma russe.

Quel film a particulièrement marqué le jeune cinéphile que vous étiez ?

L’Avventura (1960), de Michelangelo Antonioni. Je l’ai découvert sur le grand écran de l’école du cinéma de Moscou, en 1988. J’avais déjà 25 ans et j’étais en deuxième année d’études de théâtre. Un copain opérateur m’avait fait rentrer dans la salle par une porte dérobée. C’est aussi de cette manière que j’ai vu Le Procès, d’Orson Welles ou Psychose, d’Alfred Hitchcock. Je ne connaissais rien d’Antonioni lorsque j’ai vu le film pour la première fois et je suis resté littéralement ensorcelé du début à la fin. J’avais déjà découvert des films d’auteurs de la même veine qu’Antonioni, comme Bergman ou Tarkovski, mais c’est vraiment L’Avventura qui a été mon premier grand choc de cinéma.

Qu’est-ce qui vous a incité à devenir réalisateur ?

Une fois mes études de théâtre terminées, j’ai eu une sorte de rejet des planches, une véritable répulsion du théâtre m’est venue. Plus je voyais des films, plus j’étais amoureux du cinéma. Je me suis dit que c’était vers le 7e Art que je voulais me diriger. Je me souviens d’une projection où, lorsque le rideau s’est ouvert, je me suis projeté comme directeur et me suis dit que ce film pourrait être le mien. J’étais à une période de ma vie où une sorte de transfert s’est opéré en moi-même.

Douze ans se sont écoulés entre L’Avventura et vos premiers pas derrière la caméra. Pourquoi ?

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. C’était l’après Perestroïka et tout était extrêmement difficile : notamment devenir réalisateur quand on n’avait pas fait d’études de cinéma. Techniquement parlant, on tournait encore en 35 mm. Aujourd’hui, vous pouvez faire un film avec votre smartphone ! Lorsque j’ai débuté, il fallait attendre des années avant de toucher une caméra. C’est finalement arrivé en 2000, pour une série qui s’appelait La Chambre Noire. C’est à ce moment-là que c’est noué mon nouveau destin.

Vous a-t-il été difficile de réaliser Le Retour, votre premier long métrage ?

Je n’ai eu à dépasser aucun obstacle pour faire ce film. J’ai rencontré le producteur Dmitriy Lesnevskiy et j’ai réalisé trois épisodes de cette série, tous longs de 25 minutes. C’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier. Il a vu le résultat et m’a proposé que nous réalisions un long métrage ensemble. On a mis un petit peu de temps à trouver un scénario. On avait un budget très restreint, mais on a réussi à faire le film qu’on voulait. C’était une époque où il n’était pas très difficile de faire des films. En revanche, c’était autrement plus difficile de les distribuer. Le pays commençait à peine à se relever de l’effondrement qu’il avait connu, les institutions étaient en ruine. Globalement, il n’y avait quasiment pas de distribution pour les films, notamment pour les films russes.

Andrey Zvyagintsev - Membre du Jury des Longs Métrages

Andrey Zvyagintsev - Membre du Jury des Longs Métrages © Alberto Pizzoli/AFP

Un réalisateur, c’est un peu comme un arbre dont les racines vont puiser les minéraux dont elles ont besoin. Les miens, ce sont Tarkovski, Antonioni, Berman ou Bresson.

On vous a très vite comparé à Tarkovski. Ce n’était pas trop lourd à porter ?

C’était un grand honneur, même s’il n’était pas question que j’accepte cette comparaison. Ce n’était pas lourd à porter, mais lourd à entendre. Je m’étais même promis de ne plus prononcer son nom moi-même, sauf si on me posait une question à ce sujet. Comme tous les auteurs, je voulais être indépendant, rester moi-même. Il est en revanche tout à fait possible que son cinéma m’ait influencé. Un réalisateur, c’est un peu comme un arbre dont les racines vont puiser les minéraux dont elles ont besoin. Les miens, ce sont Tarkovski, Antonioni, Berman ou Bresson. Je n’ai pas forcément cherché à m’écarter de cet héritage pour Elena, Leviathan ou Faute d’Amour, que j’ai réalisés par la suite. J’ai pris ces directions parce que je vieillis, parce que je change… tout est venu tout à fait naturellement.

L’important, pour un auteur, c’est de trouver son propre langage ?

Il est essentiel de ne pas essayer d’imiter ceux qui vous ont influencé pour que cela reste du cinéma vivant, non calqué. Même si on s’influence tous les uns les autres, comme les écrivains ou les peintres.

Avez-vous développé une méthode de travail particulière ?

En général, c’est une idée qui me vient d’une histoire qu’on m’a raconté, d’un article de journal que j’ai lu ou, comme avec Leviathan, d’un phénomène sociétal qui m’inspire. Je la développe alors sur quelques pages que je soumets à mon scénariste, Oleg Neguine. C’est là que le projet de scénario prend forme. Globalement, je consacre toujours une année à la préparation de chaque film. Les lieux visités lors des repérages du tournage peuvent également influencer l’histoire du film. Ils jouent sur la manière que je vais avoir de construire l’histoire.

Qu’est-ce qui a changé dans l’industrie cinématographique russe depuis vos débuts ?

Depuis 15 ou 20 ans, notre cinéma est tourné vers l’Entertainment. L’aspect commercial a vraiment pris le dessus. Aujourd’hui, le producteur souhaite encore plus qu’avant rentrer dans ses frais. Avant, nous avions le culte de l’art en Russie. Maintenant, le cinéma est davantage tourné vers le Box-office. C’est donc devenu encore plus difficile qu’avant pour un jeune auteur de souligner une problématique un peu aigue qui amène les gens à penser et non pas à se divertir. Aujourd’hui, pour faire un film d’auteur en Russie, il faut être soutenu par la bonne personne.

C’est difficile pour un jeune cinéaste de percer aujourd’hui en Russie ?

Au temps de l’Union Soviétique, la pression idéologique était très forte. Vous ne pouviez faire du cinéma qu’en accord avec l’État. Aujourd’hui, la pression est financière. Avec la chute du Mur de Berlin et le rejet du socialisme tel qu’on l’a connu, c’est l’argent qui a pris le dessus. Je ne sais pas s’il était plus facile de contrer la pression idéologique de l’époque ou de contrer la pression financière d’aujourd’hui.