Rencontre avec Ava DuVernay, membre du Jury des Longs Métrages

Ava DuVernay © Dominique Charriau/Getty Images

Forte du succès de Selma, Ava DuVernay porte haut et fort la lutte pour un cinéma plus inclusif. Grand écran ou plateformes numériques, documentaire ou fiction, séries ou clips… peu importe le format, l’ex journaliste et ex communicante surdouée sait toucher son public. Travailleuse acharnée, pop et engagée, la membre du Jury se livre sur ses batailles, ses inspirations et son cinéma.

Vous êtes la première réalisatrice noire à avoir été nommée au Golden Globes grâce à Selma et votre documentaire The 13th a été nommé aux Oscars. Comment avez-vous interprété ces signaux ?

Je suis également la première réalisatrice noire à intégrer le Jury du Festival de Cannes et c’est historique. C’est une bonne chose mais quand je pense à toutes ces années pendant lesquelles d’excellentes réalisatrices ont été ignorés, ça m’attriste. Alors je fais en sorte d’évoquer leurs noms, de les emmener avec moi et de m’assurer que les gens sachent que je ne suis pas la seule à en être arrivée là.

Que faudrait-il faire pour que ça devienne normal ? Pour qu’on n’ait plus besoin de souligner qu’un noir, qu’une femme, qu’un transgenre… soit le premier à gagner un prix ?

Il faut qu’on passe par tous les premiers et, pour cela, il faut qu’on leur laisse une place à la table.

La seule raison pour laquelle on n’y est pas encore, c’est parce que c’est parce que la grande majorité de la population n’est pas autorisée à concourir, à exceller, à faire des films, à apprendre, à essayer, à échouer, à se lancer. Nous devons élever le niveau et arriver à l’égalité dès que possible.

Pouvez-vous me parler de votre collectif ARRAY ?

C’est une organisation que j’ai lancée en 2008 pour distribuer le travail de réalisatrices et de réalisateurs de couleur dont les studios américains n’ont que faire. On projette leur travail dans des cinémas, des musées, partout où un film peut être présenté. Nous créons de nouveaux publics partout où l’on sait qu’il y a des personnes qui s’intéressent à des voix différentes dans le monde.

Est-ce que les combats que vous menez sont plus compliqués dans l’Amérique de Donald Trump ?

Pas vraiment. Le cinéma américain existe depuis cent ans mais beaucoup de présidents, de politiciens, de chefs de studios ont méprisé l’inclusion. C’est un problème de longue date.

Que pensez-vous de la mise en place de quotas ?

L’industrie du divertissement a montré qu’elle ne pouvait pas faire place à la diversité par elle-même. Alors il faut faire quelque chose pour arriver à un équilibre et à l’équité. Ils n’ont pas fait ce qu’ils auraient dû faire, à savoir accueillir tous genres de personnes, asiatiques, afro-américains, femmes, LGBTQ… Ils ont refusé et il y a toujours le même genre de personnes. Alors oui, il y a besoin de quelques mesures drastiques.

Ava DuVernay

Ava DuVernay © Alberto Pizzoli/AFP

En quoi votre regard peut-il être particulier au sein de ce Jury ?

J’apprécie le fait que chaque personne de ce Jury vienne d’un lieu différent, avec des états d’esprits différents. Je suis une femme, afro-américaine, réalisatrice, d’un certain âge, toutes ces caractéristiques influent mon regard sur le cinéma, qui est différent de ceux de Denis Villeneuve ou Robert Guédiguian, Khadja Nin, Cate Blanchett… J’ai beaucoup appris d’Andrey Zvyagintsev, un réalisateur épatant, une personne incroyable. C’est beau d’écouter les différents points de vue au sein du groupe. C’est drôle, c’est un Jury amusant !

La visibilité que vous avez acquise aujourd’hui est avant tout due à votre talent. Quels films, quels artistes ont nourri votre manière de faire du cinéma ?

Agnès Varda ! Avoir eu l’occasion d’être avec elle sur le tapis rouge, c’était incroyable. Elle est venue me voir et m’a dit « Ava, j’adore Selma ! ». J’ai répondu : « Je ne peux pas le croire, vous connaissez mon nom ? » Et elle m’a dit « Je connais votre nom et votre travail » J’en ai presque pleuré. J’ai gardé ça en moi car on était sur le point de monter les marches. Elle est une grande source d’inspiration, j’adore ses films, sa voix, ses documentaires, ses courts, ses longs… Jane Campion aussi m’inspire, tout comme le réalisateur éthiopien Hailé Gerima, sans doute mon préféré. En ce moment, il y a aussi un réalisateur que j’adore : Andrew Dosunmu, un cinéaste nigérian.

Vous adaptez le célèbre comics New Gods. Comment est-ce que vous avez eu envie de les porter à l’écran ?

DC Comics m’a demandé de jeter un œil à ce qu’ils avaient, de voir s’il y avait une histoire qui m’intéressait. Je leur ai demandé si quelqu’un travaillait sur New Gods, personne ne s’était penché dessus, alors je leur ai dit « Moi, moi, moi ! ». C’est une histoire merveilleuse mais pas si connue que ça. Ça parle de deux planètes très différentes qui vont devoir s’unir pour affronter un mal bien plus grand. Il y a tellement de parallèles à dresser avec notre époque.

L’an dernier, nous avons rencontré Jessica Chastain, ici, à votre place. Quand on lui a demandé avec qui elle rêvait de travailler, elle a cité votre nom. Après l’avoir dirigée dans le clip de Family Feud de Jay-Z, est-ce que vous pourriez aller plus loin ?

Absolument ! Elle est tellement douée, brillante, expressive, un puits d’émotions. Et on partage certaines préoccupations. Je n’ai travaillé qu’un jour avec elle et j’en suis accro donc j’espère avoir une autre occasion !