Rencontre avec Kleber Mendonça Filho, membre du Jury des Longs Métrages

Kleber Mendonça Filho – Membre du Jury des Longs métrages - Cérémonie d'Ouverture © Valery Hache / AFP

 

Kleber Mendonça Filho a embrassé une carrière de critique et de programmateur avant de signer en 2012 avec Les Bruits de Recife un premier long métrage très remarqué. Après Aquarius (2016), qui lui a permis de figurer pour la première fois en Compétition, Bacurau (2018), son dernier film - récompensé en 2019 du Prix du Jury ex-aequo - s’érigeait en emblème de la résistance à Jair Bolsonaro. Le cinéaste brésilien évoque son rapport au cinéma et la situation dans son pays natal.

Nous avons tous un film qui nous a un jour transmis le virus du cinéma. Quel est le vôtre ?

C’est très difficile de n’en choisir qu’un seul parce qu’il y en a tellement… mais parmi eux, je me souviens toutefois de l’impact d’un film en particulier sur ma cinéphilie. Il était sorti en 1990 au Brésil, mais je l’avais découvert en VHS car il avait mis du temps à être projeté dans les cinémas de Recife. Ce film s’appelait Do The Right Thing, et était réalisé par un certain Spike Lee ! C’est l’un de ceux qui m’ont donné envie de devenir réalisateur et c’est pour moi un honneur de figurer cette année à ses côtés.

Quel genre de cinéphile étiez-vous jusqu’à ce que vous deveniez critique ?

J’ai toujours eu faim de films depuis que je suis enfant. Ma mère nous emmenait au cinéma très régulièrement mon frère et moi. J’ai grandi dans les années 1970 et tous les films qui sortaient au cinéma à cette époque étaient incroyables. Imaginez que j’avais huit ans quand j’ai découvert Superman (1978), de Richard Donner, devant un grand écran ! Je me souviens aussi très bien de Rencontres du troisième type (1977), de Steven Spielberg ou des Blues Brothers (1980), de John Landis. J’ai eu la chance de voir tous ces grands films américains dans un cinéma et je crois que cela a eu un impact sur mon désir d'en faire mon métier. C’était un régime cinématographique certes exclusivement américain, mais un régime efficace ! Quand j’ai eu 14 ou 15 ans, j’ai soudainement réalisé qu’existaient d’autres types de films. Et le premier film non américain que j’ai vu et qui m’a transporté, c’est Fitzcarraldo (1982), de Werner Herzog. J’ai ensuite commencé à suivre d’autres régimes cinématographiques !

Vous n’hésitez pas à ancrer votre critique de la société brésilienne dans le cinéma de genre. Quel rapport vous entretenez avec lui ?

Il m’est venu naturellement car les films que je regardais enfant étaient très tournés vers le cinéma de genre. Le Loup-garou de Londres (1981), de John landis, E.T. (1982), de Steven Spielberg, Halloween (1978), de John Carpenter ou encore Piranhas (1978), de Joe Dante… C’étaient des films comme les autres qu’il était normal d’aller voir au cinéma à l’époque. J’ai aussi vécu en Angleterre avec ma famille lorsque j’étais adolescent et cela a ouvert mon régime à d’autres cinématographies. La télévision britannique, notamment, fourmillait de pépites. J’y ai découvert le cinéma australien un peu barré, les films indiens ou même le cinéma français, avec les films de François Truffaut et Jean-Luc Godard.

Quelle est votre méthode de travail ?

Je prends beaucoup de temps à penser mes scénarios, mais sans forcément prévoir ces plages de réflexions. Beaucoup de gens imaginent qu’écrire un scénario, c’est passer du temps devant son ordinateur. Pour moi, c’est surtout un acte de réflexion car des idées me viennent constamment. Et quand je suis bloqué, je réfléchis davantage, je regarde des films ou je traîne dans les librairies de mon quartier pour trouver l’inspiration. Je suis aussi très connecté aux réseaux sociaux, surtout depuis que la vie au Brésil est devenue absurde. Ils sont un flot constant d’humanité, bon comme mauvais, qui nécessite souvent de s’en protéger. Mais cela me permet de prendre la température de ce qu’il se passe dans le monde. C’est un peu comme avaler des films à Cannes. Après dix projections, vous comprenez quelle analyse les réalisateurs font de la période traversée. C’est une manière forte de regarder les choses.

La présence de Bolsonaro au pouvoir n’est pas une bonne nouvelle pour la culture au Brésil. Que peut-on craindre pour le cinéma ?

Les financements d’État pour la culture sont inscrits dans la constitution au Brésil. C’est quelque chose d’ancré, un peu comme en France. Il y a d'ailleurs de grandes similitudes entre les deux systèmes. Notre gouvernement d’extrême droite ne le comprend pas, ne le tolère pas et n’aime pas les artistes. Il ne croit pas au soutien de la culture. Officiellement, il n’a rien fait pour détruire ce système car il fonctionne sur beaucoup de bureaucratie. Mais il fait du sabotage en gardant les dossiers sur un coin de la table. Nous avons environ 8.000 projets de films qui sont actuellement bloqués de cette manière, avec pour résultat des techniciens qui ne sont pas payés et toute une industrie impactée. Tous les Brésiliens qui travaillent dans le milieu de la culture sont en très mauvaise posture actuellement en raison de cette relation toxique. Et aujourd’hui, pour couronner le tout, nous avons l’épidémie.

Comment la nouvelle génération de cinéastes perçoit-elle la situation ?

Beaucoup d’étudiants en cinéma m’expliquent qu’ils ont fait le mauvais choix en optant pour le cinéma. Mais c’est tout l’inverse ! C’est le meilleur moment pour être étudiant, pour aimer les films et pour avoir envie d’en réaliser. Les tensions, c’est ce qui produit les meilleures histoires humaines. Je pense vraiment que nous vivons une période intéressante. Quand ce gouvernement va quitter le pouvoir, les flux vont se reconnecter.