Rencontre avec Vincent Lindon, Président du Jury des Longs Métrages

Vincent Lindon, Président du 75e Festival de Cannes © Eric Gaillard @ Reuters

Prix d’interprétation en 2015 pour La Loi du Marché de Stéphane Brizé, rôle masculin principal de la Palme d’or 2021, Titane de Julia Ducournau, Vincent Lindon, acteur majeur du cinéma français de ces quarante dernières années, alterne rôles légers et engagés. Le Président du Jury des Longs Métrages offre une interview à son image.

Comment appréhendez-vous votre rôle de Président du Jury ?

Très honoré, je fonce vers l’inconnu. Le Jury est formidable, avec des metteurs en scènes et actrices très pointus. C’est rassurant. Et la Sélection est magnifique. Après ces deux dernières années, il y a comme un ensoleillement autour de ce Festival. Je suis conscient de la responsabilité, un peu dans l’esprit de Woody Allen qui disait : « Je suis étonné d’être membre d’un Club qui m’accepterait pour membre. » Ça n’est pas rien de décerner des prix à des metteurs en scène, ça va probablement changer le cours de leur existence. Je vais aussi tenter de profiter à 100% de ce qui se passe. De ne pas vivre le présent au futur, et le futur au passé. Ce qui est déjà très dur en règle générale dans la vie. Vivre les choses, être au moment présent, c’est ce qu’il y a de plus dur au monde, en amour, comme en tout. Laisser du temps au temps. 
 

« Profite, ça ne va pas se reproduire deux fois »

Allez-vous regarder les films avec votre œil d’acteur ?

Je vais les regarder avec un œil de spectateur, d’amoureux du cinéma. Il y a deux itinéraires, je pense, pour aborder des œuvres d’art, et plus précisément, ici, des films de cinéma. L’itinéraire qui fait que l’écran se dirige vers votre cerveau avant de descendre dans votre corps, et celui qui prend le chemin inverse. Je vais essayer de laisser mon cœur de spectateur décider, et de tenir mon cerveau au courant ultérieurement. Pour donner une chance à tous les cinémas du monde. 
 

« J’aimerais transmettre un message d’humanisme, le seul auquel je crois »

Vous avez reçu le Prix d’interprétation pour La Loi du Marché de Stéphane Brizé en 2015 : comment avez-vous accueilli cette récompense ? 

Le choc a été énorme. De même que pour Titane l’année dernière. Mon histoire de cœur avec le cinéma est mouvementée. En particulier avec Cannes. Ce sont deux prix complètement différents. L’un est personnel, individuel, réconfortant, alors que se retrouver dans une Palme d’or, ça veut dire qu’on a lu un scénario, pris une décision, fait le choix d’être dans un film qui vous emmène très loin. Un peu comme aux JO quand vous gagnez le 100 mètres nage libre, et trois heures après, le 4x100m en équipe. C’est une autre sensation. 

Pouvez-vous nous parler de votre première fois à Cannes ? 

1987, pour Un Homme amoureux de Diane Kurys. J’étais tout jeune acteur. Le jour de l’ouverture a été absolument rocambolesque car j’ai aligné gaffes sur gaffes. La metteuse en scène me présente Robert de Niro, il me tend la main en disant : « Hi, Robert de Niro ». Et je réponds : « Hi, Vincent », sans donner mon nom de famille. Je m’en suis voulu pendant deux heures. 
Après, deux femmes viennent alors que j’étais au buffet, et l’une d’elles me dit que son amie aimerait vraiment se prendre en photo avec moi, et qu’elle aimerait vraiment la montrer à son mari car elle est sûre qu’il va beaucoup m’aimer. J’étais complètement empêtré après ma bourde avec Robert de Niro et j’ai dit d’un signe : « un peu plus tard, je viens vous voir ». L’amie insiste. Je lui répète : « Plus tard », et j’apprends peu de temps après, auprès de Peter Coyote qui me traite de veinard, qu’il s’agissait de la femme de Steven Spielberg, Amy Irving. 

Quel rôle aimeriez-vous que l’on vous propose ? 

J’ai très envie de jouer un grand médecin, un grand avocat, un prof ou un instituteur. J’aime les métiers qui fédèrent, ceux où l’on sauve, où il y a un rapport avec les gens. Et il me manque bien sûr deux types de films, mais je n’ai plus l’âge ni pour l’un ni pour l’autre. Je rêve de mon «Coup de foudre à Notting Hill», avec par exemple l’histoire d’un père et d’une mère divorcés qui vont au mariage de leur fille, et qui se retrouvent 25 ans plus tard, mais elle se déroulerait dans un Epad donc ce n’est pas fait ! Et évidemment le film d’action, Equalizer (2014), le Denzel Washington quoi. Ça m’amuserait beaucoup.

Jouer dans un film engagé vous encourage-t-il à vous engager dans la vie ? L’engagement précède-t-il le rôle ou est-ce l’inverse ? 

C’est comme si j’avais un tuteur dans le dos. Quelquefois, les films me tiennent droit. Inversement, j’espère ne pas avoir besoin de faire des films pour bien me conduire. Un grand rôle est un commerce entre un personnage et un acteur ou une actrice. Il y a deux temps, il faut que le personnage soit aussi content d’avoir été incarné par vous, que vous ayez été content d’avoir été lui, sinon, le déséquilibre se crée. Une bonne affaire c’est quand les deux parties gagnent, à 50/50. 
Je ne peux faire des rôles qu’en me disant à la lecture du scénario : « Chouette, il faut que je sois lui. » Car ce personnage ira tôt ou tard dans ma vie. C’est de la psychanalyse, quand vous jouez un personnage pendant deux mois, ce n’est pas un être factice qui le fait, c’est vous qui dites et jouez ces mots-là, et il y aura des effets secondaires, parce que j’aurai été lui.  
 

« En vieillissant ce qui m’intéresse est d’engranger de grands moments, souvenirs, de grandes rencontres, des grandes joies et de grandes déceptions, car il faut aussi prendre le temps de pleurer. C’est un projet. Tout est un projet. »