Suprêmes, ou la naissance d’un mythe du rap français

Photo du film Suprêmes © GIanni Giardinelli / Sony Pictures France

 

1988. Les rappeurs Kool Shen et JoeyStarr couchent leurs premières « punchlines » avec l’ambition de se faire un nom. Bientôt rejoints par le DJ Franck Loyer, leur trio, baptisé NTM, devient l’emblème de toute une génération. Audrey Estrougo, la réalisatrice de Suprêmes, évoque ce biopic qu'elle a pensé à l’image de leur ascension fulgurante.

Comment vous est venue l’idée de ce biopic ?

J’ai toujours souhaité réaliser un film autour de la culture Hip-Hop. Sociétalement et industriellement parlant, c'est une musique très puissante. C’est le genre le plus écouté dans le monde et qui influence le plus la mode. Mais il est stigmatisé en France. J'avais donc l'idée générale, mais pas l'histoire.

Comment en venez-vous à NTM ?

Grâce à la biographie de JoeyStarr. Dans ce livre, vingt pages évoquent la naissance du mouvement Hip-Hop en France et dans quel contexte social, sociétal et politique il s'est inscrit. Il était né dix ans plus tôt aux États-Unis, mais il avait peiné à traverser l'Atlantique et NTM a fait partie des pionniers.

Pourquoi un biopic plutôt qu’un documentaire ?

Il y a pas que les Américains qui ont de vrais héros ! Ces types sont des mythes de la culture française. Ce qu'ils ont fait d’un point de vue musical est fulgurant. Ils ont un côté héroïque que j'avais envie de magnifier avec une fiction. C’est pour cette raison que j’ai choisi de ne pas tourner en playback. Je voulais être à la hauteur de ces géants.

Vous avez choisi de raconter la période 1988-92…

C’est le moment où la fusée NTM décolle ! Quand leur premier album sort, trois grosses émeutes ont lieu dans les banlieues. On les taxe d’être l'étendard de cette rébellion alors que ce n’est pas ce qu'ils revendiquent. Le film dresse un portrait musical dans un contexte sociétal et politique très forts. J’ai préféré garder les années où les deux aspects étaient noués.

Comment avez-vous travaillé avec le trio ?

On s’est surtout attaché à leur faire raconter des anecdotes. Parfois, une même scène était totalement différente dans le souvenir de chacun. Il nous a donc fallu garder la tête froide. À la lecture du scénario, ils nous ont soumis des modifications sur des choses très concrètes, mais nous avons toujours cadré le processus.

L’un des enjeux a été de trouver les acteurs qui allaient les incarner…

Le processus de casting a duré six mois. Quand j'ai eu cinq JoeyStarr et Kool Shen possibles, j'ai enfermé les candidats dans un théâtre et on a travaillé sur du jeu, de la danse et du rap pendant une semaine. Là où Théo Christine et Sandor Funtek leur ressemblent le plus, c’est dans les postures, les mimiques et la manière de parler. Nous y avons beaucoup travaillé.

Visuellement, on ressent toute l’énergie de l’époque…

Le film est très en mouvement mais il n’est jamais cadré caméra à l'épaule. J'avais constamment à l'image trente mecs avec une énorme énergie à canaliser. C'était une évidence de leur coller à la peau. On a été les chercher près des visages et des corps. Au-delà de la musique, on a aussi effectué un énorme travail sonore.

Une anecdote de tournage à raconter ?

Durant le premier concert qu’on a tourné, les comédiens étaient dans un état de tension élevé. J'ai gardé toute une séquence où JoeyStarr vomi, même si ça ne lui est réellement jamais arrivé ce soir-là. C’était mon comédien qui déversait son stress sur scène !