Un jour un Chat, l’allégorie féérique de Vojtěch Jasný

Photo du film Až Přijde Kocour (Un jour un chat) © Národní filmový archiv, Prague

 

Robert, instituteur d’un petit village, apprend à ses élèves à respecter la nature et à résister au conformisme ambiant. Un jour, un magicien et sa troupe débarquent avec la belle Diana et un chat pourvu de lunettes qui révèlent les vertus et les vices humains en les faisant changer de couleurs. Emília Vášáryová, l'actrice slovaque qui interprète Diana dans cette métaphore politique colorée de Vojtěch Jasný - présentée en version restaurée à Cannes Classics -, évoque ses souvenirs du tournage.

Comment s’est nouée votre participation à Un jour un Chat ?

J’avais 19 ans et j’étais encore étudiante à la faculté d’arts dramatiques de Bratislava. C’était mon troisième film et ma toute première expérience avec le cinéma tchèque et les Studios Barrandov. Jiři Krejčík, un autre célèbre réalisateur du pays – qui ne pouvait plus tourner à Barrandov pour des raisons politiques – avait migré en Slovaquie pour réaliser un film dans lequel il m'avait donné un rôle après m’avoir remarquée. C’est lui qui a parlé de moi à Vojtěch Jasný. Pour les essais, j’ai dû porter un justaucorps noir, puis rouge. Jasný m’a demandé si cela me posait problème de m’entraîner au trapèze. J’ai répondu que j’avais fait de la gymnastique artistique pendant dix ans. Et il m’a choisie pour le rôle.

Un mot sur votre collaboration avec Jiří Sovák et Jan Werich, qui interprètent respectivement le directeur d’école et le magicien ?

Tous les acteurs qui comptaient alors dans le cinéma tchécoslovaque jouent dans le film ! Et notamment les acteurs comiques dont faisait partie Jiří Sovák. Il disait qu’il s’était inspiré du Président communiste Novotný pour son rôle. Mais Jan Werich était pour moi le plus grand. Le matin, au maquillage, il me faisait rire quand il constatait que j’avais le trac. Mon nom de famille lui rappelait le mot hongrois vasárnap, qui signifie dimanche. Comme mon père, il adorait le célèbre morceau de jazz hongrois de Rezső Seress intitulé « Sombre dimanche » (1933), qui est devenu célèbre pour avoir été interdit dans la plupart des établissements de Budapest à cause de sa mélancolie.

Quel moment du tournage vous a marqué ?

Un grand nombre de chats se succèdent dans le film et le plus grand défi a été de tourner les scènes avec eux en haut du trapèze. Nous n’y sommes pas toujours parvenus car avec la hauteur, le chat tremblait comme une feuille. Une fois, il était tellement terrifié qu’il a planté ses griffes sur moi et nous sommes tous les deux tombés. Lui très élégamment, bien entendu ! Et moi un peu moins puisque j’ai été transportée à l’hôpital. Heureusement c’était sans gravité.

L’inventivité visuelle du film témoigne de toute la singularité artistique de Vojtěch Jasný…

Oui, Vojtěch Jasný était exceptionnel. Il convient également de mentionner l’excellent travail du chef opérateur tchèque Jaroslav Kučera et de toute l’équipe qui a participé à la création de ce petit miracle coloré sur celluloïd.

Comment cette comédie satirique a-t-elle été accueillie en Tchécoslovaquie au moment de sa sortie, et notamment par le pouvoir en place ?

Ce film, tout comme un autre excellent film de Vojtěch Jasný intitulé Chronique morave (Prix de la mise en scène en 1969 au Festival de Cannes), a été censuré après l’occupation de la Tchécoslovaquie et son réalisateur a émigré. Le film de Jasný est une métaphore du fonctionnement du régime communiste. Il témoigne de la façon dont le régime étouffait petit à petit les libertés humaines. Jasný savait merveilleusement travailler avec les enfants et d’après moi, c'est ce qui révèle le mieux les qualités d’un réalisateur. Les scènes avec les enfants sont magnifiques, incroyablement fortes et elles me touchent toujours aussi profondément aujourd'hui.

Quel souvenir gardez-vous de la présentation du film à Cannes en 1963 ?

J’ai fêté mon vingt-et-unième anniversaire pendant le Festival. Des fleurs offertes par son Président m’attendaient à l’Hôtel Martinez. Vingt-et-une roses blanches, grandes et splendides. Grâce à la première du film à Cannes, j’ai pu aller pour la première fois de ma vie à l’Ouest. Je n’avais encore jamais vu la mer… L’accueil du public avait été fantastique. Il a même compris la portée politique du film.

(Traduction : Marion Eschard, avec la complicité de Magda Le Folgoc et Sophie Teulière)

Une présentation de Národní Filmový Archiv, Prague. Restauration numérique en 4K à partir d’un interpositif par L’Immagine Ritrovata à Bologne. Financement : Milada Kučerová et Eduard Kučera. Restauré en partenariat avec le Karlovy Vary International Film Festival. Distribution France : Malavida Films.