INTRODUCTION AU CINEMA EGYPTIEN

PAR SAMIR FARID *

 

 

Les premières projections en Egypte du cinématographe « Lumière » ont eu lieu le 15 novembre 1896 à la Bourse Toussoun, à Alexandrie, puis le 28 novembre au Caire, soit moins d’un an après la toute première projection à Paris, le 28 décembre 1895. La première salle de cinéma, «le cinématographe Lumière », a ouvert ses portes à Alexandrie en 1897. En 1926, c’est-à-dire à la fin de l’époque du cinéma muet, il existait 86 salles de cinéma égyptiennes. Depuis 1805, la famille de Mohamed Ali régnait en Egypte. Son règne s’est achevé avec la « révolution » des militaires en 1952 et la proclamation de la République en 1953.

 

 

 

 

 

Ville du Caire

Les salles de projection se sont tout d’abord multipliées avec l’apparition du cinéma parlant. En 1958, il y en avait 395. Cependant, leur nombre a commencé à décroître lorsque la télévision est apparue en 1960 et que le secteur public du cinéma a fait son apparition. Elles n’étaient plus que 297 en 1965, puis 141 en 1995. Cette diminution ne s’explique pas seulement par la concurrence de la télévision et la circulation des films enregistrés sur cassette vidéo ou grâce à tout autre support technique moderne. D’autres causes y ont contribuées, au premier rang desquelles figurent la dégradation des services dans les salles de projection du secteur public, nationalisées ou objet de mesures d’expropriation, l’absence de création de nouvelles salles (de crainte qu’elles ne subissent le même sort), et enfin la loi de 1973 permettant au ministre de la Culture d’intervenir dans la programmation des salles de projection.

Puis, grâce aux différentes lois et mesures encourageant l’investissement dans la création de salles de cinéma, leur nombre a augmenté de nouveau, surtout dans les centres commerciaux. Elles étaient 200 en 2001 et 400 en 2009 pour une population de 77 millions d’habitants (80 millions si l’on compte les égyptiens expatriés).

 

 

Ciel d’enfer de Y Chahine, 1954 Le moineau de Y Chahine, 1972 L’autre de Y Chahine, 1999

 

 

En 2009, 120 films, pour la plupart hollywoodiens, ont été projetés en Egypte. Parmi ces 120 films, 39 étaient égyptiens et quelques-uns européens et indiens. Les recettes des salles de projection ont atteint 55 millions de dollars des Etats-Unis. Les films égyptiens ont obtenu 80% des parts du marché.

Le marché du cinéma en Egypte est l’un des trois seuls marchés dans le monde où les films nationaux obtiennent la plus grande part du marché, cela grâce à des lois et à des dispositions qui protègent la production nationale. Les principales sociétés cinématographiques américaines d’Hollywood, lesquelles détiennent aux Etats-Unis et hors des Etats-Unis la plus grande part du marché international, s’opposent à ces lois et à ces dispositions qu’elles considèrent comme des mesures protectionnistes contrevenant aux traités sur la libre circulation des biens entre les nations et enfreignant les lois et les dispositions sur la liberté commerciale.

En 1897, la société Lumière a envoyé l’opérateur Promio en Egypte. Il y a filmé 36 courts-métrages. On en a retrouvé aujourd’hui 18. Les premiers films réalisés en Egypte ont été ces films français. Quant au premier film égyptien, il date de 1907, il s’agit du court-métrage intitulé « Visite du khédive à la mosquée El Morsi Abou El Abbas ». Il a été produit par la société Aziz et Dorès (Aziz Bandarli et Umberto Malafassi, connu sous le nom de Dorès) et projeté le 20 juin 1907. Ainsi, voilà pourquoi la bibliothèque d’Alexandrie, lors de la célébration en 2007 du centenaire du cinéma, a fait du 20 juin « le jour du cinéma égyptien ».

 

Phare d’Alexandrie Bibliothèque d’Alexandrie (reconstitution)

Jusqu’en 2009, le nombre de courts-métrages égyptiens tournés s’élève à 3000. Il s’agit de films de fiction, de documentaires, d’arts plastiques (films d’animation) et de films d’étudiants appartenant à l’un ou l’autre des trois genres précédents. Mohamed Bayoumi (1894-1963) est l’un des pionniers du documentaire égyptien. Il a également réalisé des films de fiction. Il est considéré comme le premier cinéaste d’origine égyptienne qui ait travaillé dans le cinéma. Mentionnons aussi Saad Nadim (1920-1980), Salah El Touhami (1922-1997) et Abdel Kader Telemsani (1924-2003). Parmi les pionniers du cinéma d’arts plastiques (films d’animation), figurent les frères Frankel, Antoine Sélim, mort en 1998, et Ahmed El Matini (1934-1996).

C’est en 1927 que l’on a commencé à produire en Egypte des longs-métrages muets de fiction, et en 1932 des films parlants. Selon une filmographie de l’auteur de ces lignes, 3124 films ont été projetés entre 1932 et 2009. De par l’importance de la production (4000 films réalisés, y compris les films muets et ceux qui n’ont pas été projetés), et l’influence du cinéma égyptien sur le public national et arabophone, celui-ci occupe le 10e rang mondial et la première place en Afrique, dans le monde arabe et au Moyen-Orient. Entre 1933 et 1963 – période au cours de laquelle ont été produits plus de 1000 films de fiction partageant, comme dans toutes les écoles de cinéma du monde, un ensemble de traits spécifiques, de particularités et de propriétés caractéristiques, a existé une école complète du cinéma qui est « l’école du cinéma égyptien ».

Plusieurs causes expliquent qu’en Egypte plus qu’en aucun autre pays arabe, africain ou musulman (tout au moins dont la population est majoritairement musulmane) le cinéma se soit ainsi développé durant la première moitié du XXe siècle. La plus importante tient au développement de l’art dramatique : dans sa grande majorité, le public du cinéma est le même que celui qui fréquentait auparavant les salles de théâtre ; Myriam Sammate a été la première égyptienne à monter sur les planches en 1907 et Mounira Al Mahdiyya a été, en 1915, la première musulmane. La faculté des beaux-arts a été créée en 1908 et les Egyptiens ont accepté de voir leurs vies représentées au théâtre, puis à l’écran. Pas de drame sans qu’existent hommes et femmes, sans que des vices ne suscitent entre eux des discordes qui les opposent. Si les Egyptiens ont accepté de voir représentés de hauts fonctionnaires corrompus, des épouses adultères, etc., c’est bien qu’ils ont trouvé la force et le courage d’être confrontés aux aspects négatifs de leur société, notamment durant la montée du nationalisme sous le règne du khédive Abbas Hilmi II, au tout début du XXe siècle. De ce mot d’ordre : « L’Egypte aux Egyptiens ! » a découlé la grande révolution populaire de 1919, la conquête égyptienne de l’indépendance politique en 1922 et enfin la Constitution de 1923, première des constitutions modernes chez les Arabes et les musulmans.

La création en 1913, de l’« association des amis du théâtre », qui rassemblera plus tard les « amis du théâtre et du cinéma » est l’un des résultats de ce vaste mouvement. En 1923, le gouvernement a créé l’institut de musique arabe, et en 1930 celui d’art dramatique, lequel a été fermé en 1931, après une année à peine d’enseignement, sous prétexte qu’étudiantes et étudiants s’y côtoyaient dans une embarrassante promiscuité. En 1933, le gouvernement a décerné des prix assortis de récompenses financières aux meilleurs films projetés en 1932. Cinq années à peine séparaient cette initiative du premier concours de cinéma international (les Oscars américains en 1927) et une année seulement du premier festival du film international (Venise, 1932).

L’institut d’art dramatique est redevenu en 1943 un département de l’institut supérieur des arts du théâtre. La création du syndicat des acteurs et celui des professionnels du cinéma date de la même année. Deux ans plus tard, en 1945, a été créé le syndicat des musiciens. En 2009, ces syndicats rassemblaient 50 000 professionnels. Une chambre de l’industrie du cinéma, dépendante de la fédération des industries égyptiennes, a été créée en 1947. En 2009, 300 sociétés y étaient enregistrées. L’année 1958 a vu la création du premier institut d’arts cinématographiques.

 

 

Jusqu’à sa nationalisation en 1961, le Studio Misr a produit 57 films de 1936 à 1956, et 125 films y ont été tournés entre 1936 et 1960, selon l’auteur de ces lignes. Il faut compter au nombre de ses plus importantes réalisations la publication, entre 1939 et 1960, de l’hebdomadaire « L’Egypte cinématographique ». Le photographe en était Hassan Mourad (1903-1970). À la suite de la nationalisation, l’hebdomadaire a été rattaché à la télévision puis à l’Office National des Informations. D’autres grands studios ont succédé à la création du Studio Misr : Nassibian en 1937, Jalal en 1944, Al Ahram en 1945 et Al-Nahhas en 1948. À l’exception du premier d’entre eux qui a fermé, ces studios existaient toujours en 2009, côte à côte avec ceux de la Cité de la production des médias, rattachés à la télévision. Quant aux laboratoires industriels de cinéma, il n’en subsiste que deux aujourd’hui : le laboratoire Misr et celui de l’Institut du Cinéma. Le ministère de la Culture a développé ce dernier. Il s’appelle désormais la « Cité du cinéma » et il est dirigé par la « Cité de la production des médias ».

 

 

Alexandrie-New York de Y Chahine, 2004 Le Destin de Y Chahine, 1997 Decoupage d’une scène, Le Destin

 

 


Voici encore quelques dates-repères :

• 1911 : promulgation de la première loi sur le cinéma en Egypte ;
• 1923 : parution du premier périodique consacré au cinéma (« Les Images Animées », Mohamed Tawfik en était le propriétaire et le rédacteur en chef) ;
• 1924 : publication du premier livre portant sur le cinéma « L’aube du cinéma », écrit par le réalisateur et chercheur Mahmoud Khalil Rachid (1894-1980) ;
• 1925 : création de la toute première grande société de production, la société Misr pour l’art dramatique et le cinéma. Celle-ci appartenait à la Banque Misr, elle-même fondée dans le sillage de la révolution de 1919 par Talaat Harb (1867-1941). La Société Misr pour l’art dramatique et le cinéma a inauguré en 1935 le premier studio complet de cinéma sur le modèle des studios hollywoodiens. Le Studio Misr a été le plus grand studio cinématographique d’Egypte, du monde arabe, d’Afrique et du Moyen-Orient ; il le demeure d’ailleurs, bien qu’il ait été éprouvé après sa nationalisation par l’administration bureaucratique centrale.

 

 

 

LIRE >>> LES FILMS EGYPTIENS AU FESTIVAL DE CANNES

 

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* Samir Farid est journaliste et historien du cinéma

 

 

Le Festival de Cannes remercie les auteurs pour leur libre contribution.

 

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