LE CINEMA JAPONAIS ET LE FESTIVAL DE CANNES

PAR NAKAGAWA YOKICHI *

 

L’importation, en 1897, du cinématographe des frères Lumière marque les premières heures du cinéma au Japon. La première caméra importée dans le pays est une caméra Gaumont. C’est cette caméra qui permettra de filmer à plusieurs reprises des geishas à la mode, dans les restaurants traditionnels de Shimbashi, suscitant un vif succès auprès des spectateurs.
Le film tiré de la prise de vue de ces geishas est considéré comme le premier film de divertissement tourné au Japon. Celui que l’on considère comme la première production cinématographique japonaise sera quant à lui tourné par un ingénieur en photographie,  M. Shibata Tsunekichi, en 1899. Il s’agit de la pièce de kabuki Promenade sous les feuilles d’érable (Momijigari), au contenu purement théâtral. Avec ces importations de matériel, la France exerce donc dès le départ une grande influence sur le cinéma japonais.  

 

 

Une page folle de Kinugasa Teinosuke, 1926

 

Aux origines, le courant cinématographique japonais principal est le jidaigeki, ou drame de cape et d’épée. Apparaissent peu après les drames contemporains. L’histoire du cinéma japonais a retenu au premier rang des jidaigeki la trilogie Carnets de voyage de Chūji (Chūji tabi nikki, 1927, réalisé par Itō Daisuke), et pour les drames contemporains Une page folle (Kurutta Ippeiji, 1926, réalisé par Kinugasa Teinosuke). Arrivent les années 1930, et l’entrée sur la scène cinématographique du génial Yamanaka Sadao. Il est malheureusement mobilisé et meurt de maladie sur le front à 29 ans, au Nord de la Chine. Seules trois de ses œuvres ont été conservées: Le pot d’un million de ryō (Hyakuman ryō no tsubo, 1935), Kōchiyama Sōshun (1936) et son œuvre posthume Pauvres humains et ballons de papier (Ninjo kamifusen, 1937). Les œuvres de Yamanaka Sadao sont particulièrement précieuses, car elles montrent bien le niveau du cinéma japonais d’avant-guerre.

 


Kōchiyama Sōshun de Yamanaka Sadao

Le Japon perd la guerre le 15 août 1945. Epuisé et appauvri, tout le peuple japonais connaît une existence extrêmement difficile. Mais le public, assoiffé de divertissement, se rue vers le cinéma. Un grand nombre d’œuvres occidentales sont diffusées, et la qualité artistique du cinéma français, en particulier, conquiert les spectateurs.
 

Conte de Tokyo de Yasujirô Ozu
 

 

 Les contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi

 

Le cinéma japonais connaît son âge d’or dans les années 50. Notamment dans la première moitié de la décennie où un grand nombre d’œuvres sont restées dans l’histoire, à commencer par les chefs d’œuvre de Kinugasa Teinosuke, Ozu Yasujirō, Kurosawa Akira, Mizoguchi Kenji, Kinoshita Keisuke ou Naruse Mikio. Shindō Kaneto, grand réalisateur des années 1950, a aujourd’hui 98 ans et vient d’achever sa dernière œuvre en date, Ichimai no hagaki (que l’on pourrait traduire : Une carte postale) en octobre 2010, sur un thème anti belliciste.

 

Imamura Shōhei en 1987 Kaneto Shindo Ōshima Nagisa en 1986

C’est en 1953 que la chaîne de télévision NHK diffuse ses premières émissions, et le cinéma voit bientôt sa fréquentation diminuer. Au début des années 60, entrent en scène de nouveaux réalisateurs qui ne sont pas satisfaits de ce qu’a pu produire le cinéma japonais jusqu’alors. Ils forment le courant dit de la Shōchiku Nouvelle Vague (du nom d’une société de production cinématographique japonaise). Contes cruels de la jeunesse (Seishun zankoku monogatari, 1960) d’Ōshima Nagisa devient un véritable phénomène de société. C’est notamment au réalisateur Ōshima Nagisa que le Japon doit ses liens étroits avec le Festival de Cannes, ainsi qu’à Imamura Shōhei, récompensé deux fois par la Palme d’Or et, bien sûr, à Kurosawa Akira qui a lui aussi obtenu la palme d’or pour Kagemusha, en 1980.

 

 Kagemusha, l’ombre du guerrier de Kurosawa Akira

 

 

 

LE FESTIVAL DE CANNES ET MOI
PAR KITANO TAKESHI

 

Le Festival qui m’a le plus profondément marqué est le 52ème Festival de Cannes, en 1999, l’année où L’Eté de Kikujiro (Kikujirō no natsu) a été présenté en compétition. Je me souviens comme si c’était hier des applaudissements nourris du public, qui ne semblaient jamais devoir cesser, et de ses acclamations après la projection officielle. Jusqu’à aujourd’hui, ces applaudissements demeurent dans mon souvenir une expérience inégalée, une véritable tempête. Lors des projections officielles au Festival de Cannes, l’une des plus grandes craintes des réalisateurs est le bruit que font les sièges en se refermant, lorsque les spectateurs se lèvent pour sortir. Mentalement, ce bruit nous atteint comme si nous étions des prisonniers auxquels on annoncerait leur arrêt de mort. Tout au long de la projection, alors que nos yeux sont rivés à l’écran, nos oreilles restent vigilantes au bruit des sièges, tels des sonars de sous-marins. Pendant la projection de L’Eté de Kikujiro, cette sensation de tension est justement restée en suspens. C’est seulement au moment du générique de fin que j’ai brusquement réalisé que je n’avais pas entendu de bruits de sièges. Au moment où le public a applaudi et crié bravo. Cette expérience précieuse m’a stimulé, et c’est grâce à elle que je continue aujourd’hui à tourner des films. Les festivals du film font grandir les auteurs…

 

 

 

 

 

 

 Extrait de L’Eté de Kikujiro

 

J’ai fait une autre expérience précieuse au Festival de Cannes. C’était en 2007, pour le 60e anniversaire de l’événement, lorsque j’ai participé au projet de Chacun son Cinéma. A cette occasion, j’ai été en contact avec de nombreux réalisateurs de talent venus du monde entier. Avoir la possibilité de participer à ce projet fut pour moi un grand honneur, mais le moment le plus précieux fut la répétition de la cérémonie d’ouverture où, alors même que je parlais, je pouvais voir devant moi la silhouette de tous ces maîtres. Ce fut vraiment un grand moment. Je continue à penser aujourd’hui que j’aurais dû le filmer pour que le public en profite. 

 

 


Une belle journée de Takeshi Kitano – « Chacun son cinéma ».

 

 

Takeshi Kitano

 

 

 

 

 

Le Japon à Cannes

 

Le cinéma japonais ne cesse de rajeunir, comme en témoigne notamment l’œuvre du réalisateur Kitano Takeshi. A la suite de celui-ci, Cannes attire de plus en plus de jeunes réalisateurs japonais depuis le début des années 2000, et les œuvres d’art et essai visent d’abord l’obtention de prix à l’étranger plutôt qu’au Japon. Ainsi a-t-on vu à Cannes les réalisateurs Kore-eda Hirokazu et Kawase Naomi. Sans oublier Kobayashi Masahiro, plus connu sur la Croisette qu’au Japon, qui a présenté Bashing (Bashingu) en Compétition Officielle en 2005.

 

 

 Nene Otsuka, Masahiro Kobayashi et Fusako Urabe en 2005 à Cannes pour Bashing

 

En raison de la trop faible distribution des films occidentaux au Japon, les œuvres qui reçoivent la Palme d’Or au Festival de Cannes sont insuffisamment présentées. La sortie de films comme Entre les Murs en juin dernier, Oncle Boonmee, Le Ruban blanc (Palme d’Or 2009), Des Hommes et des Dieux (Grand Prix 2010), ou Copie conforme est acquise, mais celle de Poetry demeure en attente. Dans notre pays où les salles d’art et essai manquent d’essor, les films sortent par ailleurs généralement 12 à 18 mois après leur présentation au Festival de Cannes.

Un cinéma confronté à différents problèmes

La situation du cinéma japonais est assez particulière. Au Japon, il n’existe pas d’organisme public correspondant au Centre National du Cinéma (CNC) français, et la gestion de la politique culturelle accuse un certain retard.

En 2004, le CNC et le Japon ont signé un mémorandum de coopération qui ne fait que stipuler un certain nombre de points sur lesquels des efforts communs doivent être entrepris.

Aujourd’hui, la grande question qui préoccupe le monde cinématographique japonais est l’absence d’une école de cinéma publique. Par ailleurs, les réalisateurs ne touchent aucun droit d’auteur car ces droits reviennent depuis avant-guerre aux sociétés de production. Le système du dépôt légal des films demeure également insatisfaisant. Quant à l’activité des salles d’art et d’essai, elle est nettement insuffisante.

La situation actuelle du cinéma japonais

Le cinéma s’impose au Japon comme le divertissement roi dès avant-guerre et surtout entre 1945 et 1958, année où il enregistre à son zénith 1,12 milliards de spectateurs. Par la suite, avec l’apparition de la télévision, ce nombre diminue fortement. Les statistiques les plus récentes indiquent un chiffre de 162,2 millions de spectateurs en un an. Les japonais vont en moyenne 1,3 fois au cinéma par an, soit à peu près trois fois moins que les Français ou les Coréens du Sud. Les recettes annuelles enregistrées se sont élevées en 2010 à environ 220 milliards de yens (2,42 milliards d’euros), et avec ce chiffre le Japon s’impose comme un grand pays du cinéma puisqu’il se place juste derrière les Etats-Unis.

Cette situation contradictoire tient avant tout au prix de la place de cinéma : à Tokyo et même à Osaka, le ticket peut atteindre 1 800 yens au plein tarif, 1 500 yens au tarif étudiant, 1 000 yens pour les plus de 60 ans. Ce prix compense financièrement la baisse de fréquentation des salles. En moyenne, la place de cinéma coûte 6,14 euros en France, 5,1 euros en Corée, 7,50 dollars aux Etats-Unis et le Japon se démarque avec son fort tarif à 1 217 yens (soit 11,06 euros). On peut donc dire que l’industrie japonaise du cinéma est soutenue par le prix élevé des tickets.

 

 


LE RESPECT DU CINEMA
PAR YAKUSHO KOJI


Le public qui vient voir les films au Festival de Cannes possède, me semble-t-il, une véritable passion pour le cinéma, et c’est à Cannes que j’ai réalisé pour la première fois combien les amateurs de cinéma étaient nombreux. J’ai eu la très nette impression que le Festival tout entier tenait le réalisateur Imamura Shōhei en haute estime. Je n’avais pas ressenti au Japon ce sentiment de respect des acteurs et des réalisateurs.

En raison du stress, je ne me souviens pas très bien de l’ascension des marches. J’ai des bribes de souvenirs, bien sûr, mais malheureusement, comme Imamura Shōhei avait du mal à marcher, nous n’avons pas pu les monter ensemble. Je me souviens avoir été très impressionné de le voir avec sa canne, en compagnie du président Gilles Jacob, alors que je regardais l’entrée du Palais des Festivals tout en montant les marches.  J’ai été ému qu’un film tourné dans une ville aussi petite que celle de Sawara, au Japon, soit accueilli dans un  lieu aussi animé qu’un festival international du film. Et lorsque j’y ai entendu la bande originale de L’Anguille, j’ai ressenti plus encore que de la joie. Mon cœur s’est mis à battre très fort.

 L’Anguille d’Imamura Shōhei

 

Pour la cérémonie de remise des prix, Monsieur Imamura avait dû rentrer au Japon et je suis monté sur scène en compagnie du réalisateur Abbas Kiarostami, Palme d’Or ex-aequo : la photo qui a été faite de nous deux est accrochée chez moi. Le jour de la remise des prix, j’étais complètement paniqué. J’avais pensé me promener dans Paris et y passer une nuit avant de rentrer, lorsque le producteur m’avait convoqué. Et au moment de la montée des marches, Gilles Jacob m’avait glissé : « Je pense que vous ne serez pas déçu ». Pour autant, je ne croyais pas à la Palme d’Or. Le prix était remis par Catherine Deneuve.

 

 


Yakusho Kōji, Catherine Deneuve, Abbas Kiarostami

 

J’ai été ému qu’un film produit dans cette petite île d’Extrême-Orient qu’est le Japon soit vu par autant de spectateurs européens, et j’ai ressenti dans tout mon corps le profond respect que les applaudissements montraient pour le film. J’ai pensé que son réalisateur était une vraie star.
Je n’avais pas encore fait beaucoup de cinéma jusqu’alors, mais c’est depuis ce Festival de Cannes que j’ai décidé de m’y consacrer pleinement.

 

 

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* Nakagawa Yokichi est critique et historien du cinéma

 

 

Le Festival de Cannes remercie les auteurs pour leur libre contribution.

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