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« Belmondo, c’est une fête ! » : l’oraison tendre et joyeuse de Thierry Frémaux au Magnifique

Jean-Paul Belmondo au Festival de Cannes en 1988 © AFP

 

Paul, le fils aîné de l'acteur, a demandé au délégué général du Festival de Cannes de prononcer un hommage à son père. Un texte lu ce vendredi lors des obsèques de l'acteur, que nous livrons in extenso.

[Texte paru le 10/09/2021 dans Le Figaro]

Quand tu m'as demandé, Paul, de prononcer quelques mots ce matin, que tu m'en as fait l'honneur, j'ai été saisi d'émotion et d'effroi. Comment évoquer à mon tour celui dont tout le monde parle si magnifiquement depuis plusieurs jours et dont tout le monde a parlé si magnifiquement depuis toujours. D'un artiste que la République a honoré, lui, le cancre, l'élève indiscipliné, le garçon rebelle auquel la patrouille de France a rendu un double hommage dans ce ciel de Paris qui lui appartenait.
 

Mais après avoir dit notre tristesse, tristesse d'avoir aimé et de perdre quelqu'un qui ne sera plus, sans doute faut-il également dire notre fierté, celle de l'avoir connu, de l'avoir, un peu, accompagné et de nous êtes tenus à ses côtés. Fierté et joie mélangées, d'ailleurs tant les moments passés ensemble n'étaient qu'une suite de fous rires : on peut tous ici en témoigner, témoigner qu'en matière de fêtes et de rigolades, son tempérament était… respectable.
 

Jean-Paul, toutes ces années, ça n'était jamais l'acteur et encore moins la vedette, c'était l'ami, au milieu des siens, c'était l'homme, face aux tempêtes.
 

Ce type-là n'aura jamais rien fait comme les autres, et dès le début. Surgir dans le monde du cinéma en disant face caméra : « Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville… allez vous faire foutre ! », c'était signer avec Godard l'une des plus belles répliques de l'histoire, c'était accepter le risque d'un film qui ne ressemblait à aucun autre, c'était d'emblée s'emparer de ce que la vie vous offre et d'un rôle qui dit ce que vous serez. Cet «Allez vous faire foutre» de toute beauté, c'était aussi une manière de s'assurer qu'on ne vous emmerdera pas et ils ne sont pas nombreux à s'y être risqués, à emmerder Jean-Paul Belmondo. D'ailleurs : «Emmerder Jean-Paul Belmondo», l'idée semble elle-même improbable.
 

Ce qu'il était, Jean-Paul l'était sans calcul, sans faiblesse et sans arrogance. Et à chaque fois, plus lui-même que jamais. Et ce lui-même, unique, jamais vu avant aura séduit partout tant il était irrésistible. Depuis lundi, les témoignages affluent et à Cannes, j'en aurai reçu énormément, messages venus d'Asie comme d'Amérique, témoignage d'un chagrin vite devenu planétaire. Comme celui de Spike Lee, pour qui Jean-Paul était un héros, et qui m'a demandé de bien le dire à sa famille – ce que je fais là.
 

Un héros, oui, mais Jean-Paul aura surtout été un fils, un frère, un père, un grand-père exemplaires. Hier, cette bande de jeunes gens s'emparant de la cour des Invalides a tellement ému, tellement frappé par le lien que le « papy » entretenait avec eux. C'était bien, les enfants, le monde est à vous maintenant et ce grand-père et ce père, à toi Stella, vous laisse un héritage immense.

« On pourra même continuer à dire à nos enfants, et aux enfants de nos enfants :  »Vous savez, on vivait à une époque où, le mercredi, sortaient les films de Jean-Paul Belmondo » »

Thierry Frémaux

Jean-Paul Belmondo entre son fils Paul et Thierry Frémaux

Jean-Paul Belmondo entre son fils Paul et Thierry Frémaux © Philippe Lopez / AFP

Jean-Paul aura été un copain aussi, l'amitié chez lui ne se départissant jamais de la fidélité et de l'exigence qui vont avec et qui construisent une existence où demeure une certitude : quand on est en paix, quand on veille sur les autres, quand on va vers cet accomplissement, votre présence au monde n'est jamais inutile. Jean-Paul est parti en paix, sa présence au monde n'aura pas été inutile. Il aura fait partie de cette génération sacrée, avec Brigitte Bardot, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve et Alain Delon, qui est là ce matin, son frère d'armes dont l'amitié maintes fois démontrée était celle qui unissait le cinéma français. Une génération qui alternait le cinéma d'auteur et les films grand public, qui incarnait leur pays et que le monde entier regardait. « Vous plaisez aux femmes non ? », lui demandait Jacqueline Bisset. « Je ne sais pas », répondait-il en se regardant les muscles comme un bellâtre qu'il n'a jamais été. Bien sûr qu'il plaisait aux femmes, c'est comme ça qu'on disait à l'époque, plaire aux femmes. Il plaisait aux hommes aussi, d'ailleurs.
 

C'était ça, la vie Belmondo. « Belmoooondoooo, c'est un verbe ! », affirmait Quentin Tarantino qui réinventa à Lyon le principe de l'hommage en faisant de celui qu'il rendit à Jean-Paul à Lyon le mètre étalon d'un sport magnifique : l'admiration. Belmondo, c'est une fête aussi, la « vie Belmondo », c'était beaucoup de choses, ça pourrait devenir une chanson de Vincent Delerm ou d'Alain Souchon. Mais si la vie Belmondo on la connaît, parce qu'on l'a vécue, la vie sans Belmondo, on ignore encore ce que ça sera. Ici, on a tous, sauf son frère Alain né deux ans avant lui, eu une existence où Jean-Paul était présent. Il était là tout le temps, une fois qu'on l'avait découvert, on l'aimait instantanément, chez Lelouch ou chez Resnais, chez Oury ou chez Deray. On pourra même continuer à dire à nos enfants, et aux enfants de nos enfants : « Vous savez, on vivait à une époque où, le mercredi, sortaient les films de Jean-Paul Belmondo. » Fierté, je vous disais.
 

On pouvait écrire, déjà, un « Je me souviens » uniquement consacré à Jean-Paul. Je me souviens de la solitude de Léon Morin, le prêtre, ou de Louis Mahé, l'amoureux déchu de La Sirène du Mississipi. Je me souviens de Ferdinand qui déclamait L'Histoire de l'Art d'Élie Faure, qui chantait Ta ligne de hanche en quelques pas de danse, qui s'approche avec humanité d'un homme désespéré qui se parle à lui-même, je me souviens surtout de Jean-Paul Belmondo regardant Raymond Devos avec affection, parce qu'il était un homme et un comédien qui prenait soin de ses aînés. Je me souviens d'un fils dévoué à son père, je me souviens de celui aimait la boxe et le foot, les grands restaurants et les bonnes blagues, non le contraire : les bons restaurants et les grandes blagues. Je me souviens et chacun complètera. Je me souviens de sa Palme d'or à Cannes où il accepta de revenir, avec les photographes qui posèrent leurs appareils sur le tapis rouge car ils voulaient avoir les mains libres pour applaudir et, comme tout le monde, pleurer d'émotion de le voir revenir et de l'accueillir, je me souviens qu'au festival Lumière, alors qu'il avait plus de cinquante mètres à parcourir pour rejoindre son fauteuil, il décida d'affronter le regard de 5000 personnes, de rester debout, de marcher, de montrer que le plus beau des combats, c'est celui qu'on livre à soi-même. C'était quelques minutes avant que Tarantino ne dise que Jean-Paul avait inventé la « Supercoolerie » : il venait à nouveau de le démontrer, et en souriant. Marcher et ne pas s'arrêter, rire et s'enfuir, aimer puis s'envoler, comme ce matin.
 

Désormais, au « Je me souviens » succédera le « Je n'oublierai pas ». Je n'oublierai pas Belmoooondooo. Nous ne t'oublierons pas, Jean-Paul.

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