Rencontre avec Arnaud Desplechin, membre du Jury des Longs Métrages

Arnaud Desplechin - Membre du Jury des Longs Métrages © Anne-Christine Poujoulat / AFP

Arnaud Desplechin est de ces cinéastes qui déroutent. Cinq sélections en Compétition à Cannes, César du meilleur réalisateur pour son dernier film Trois souvenirs de ma jeunesse, toute une génération d’acteurs qu’il a propulsés de Mathieu Amalric à Quentin Dolmaire. Pourtant, dans les yeux de cette figure du cinéma français demeure la candeur du petit garçon de Roubaix. Rencontre avec le réalisateur, ses succès et ses démons.

Votre première présence à Cannes, c’était en 1992 avec La Sentinelle, en Compétition. Vous en gardez quel souvenir ?

Un très beau souvenir et très brutal en même temps. J’avais appris qu’à la première projection presse qui avait eu lieu la veille au soir, les critiques avaient commencé à s’insulter dans la salle dès le générique de fin. Le lendemain, en conférence de presse, un journaliste s’est levé pour poser une première question qui était extrêmement agressive, il disait que le film était un scandale. Moi je voulais évidemment protéger les acteurs autour de moi. Et là, un autre journaliste s’est levé et a commencé à dire « Mais monsieur, ce que vous dites est scandaleux, le film est admirable ! » et les gens s’engueulaient à l’intérieur de la salle. J’étais spectateur de ça et je me suis dit « Putain, c’est vivifiant ! » 

Vous avez déjà été membre du Jury en 1998 pour la Cinéfondation, comment vivez-vous votre rôle cette année ?

J’aime bien l’expression de George Miller qui dit qu’on est des étudiants en cinéma. Ce qui me frappe, c’est le trajet que les films font en moi. Je sors du film avec une opinion très ferme et deux jours après, comme on en voit plusieurs, elle se modifie, s’affine. Puis on apprend des autres membres du Jury. Le fait de partager fait de moi quelqu’un qui apprend et c’est l’état le plus heureux du monde.

« On est un peu tous portés par Donald Sutherland qui est tout à fait étonnant. On est tous stupéfaits devant sa vivacité, son extrême précision, il nous tire vers le haut. Souvent, il termine avec un apologue ou une blague, du coup c’est très challengé. On a envie d’y aller aussi. »

Quel genre de film vous touche ?

Un film qui fait qu’on n’est pas pareil avant et après. Un film qui vous apprend quelque chose, qui vous reste pour toute la vie, qui fait que vous n’êtes plus le même spectateur.

Lesquels vous ont changé ?

Il y en a tant ! Je vais vous en donner un qui m’a terrifié, que j’ai vu très jeune : Ordet de Carl Theodor Dreyer. Je ne comprenais pas du tout ce que je voyais. Quand il y a eu le miracle, j’ai eu très peur. J’ai été élevé dans le catholicisme, je regardais ce film avec tous ces protestants et ce type qui se prend pour Jésus, qui réussit à ressusciter l’enfant. Je n’étais plus le même, je n’avais plus la même perception de la vie après.

Vos propres films en revanche, ils vous ont servi à régler vos comptes avec votre pays (La Sentinelle), avec votre famille (La Vie des morts), avec vos ex copines (Comment je me suis disputé…) ?

On se bagarre avec ses démons. En même temps, je demande à mes acteurs de se jeter dans l’eau froide et il faut que j’en sois capable aussi. Quand les acteurs me donnent leur immense talent, c’est bien, mais ce n’est pas assez.

« Je demande à mes acteurs de me donner quelque chose de personnel, une note musicale vibrante qui est presque indécente. Vous ne savez plus où est la limite entre le personnage et l’acteur. »

Quelle est votre place dans la grande famille du cinéma ? Vous dites vous sentir un peu à part.

J’en fais sûrement partie, plus que ce que je veux bien admettre. J’ai été touché par exemple que la famille du cinéma me donne un César pour Trois souvenirs de ma jeunesse. J’étais ému, je me suis dit que dans le fond, j’en faisais partie de manière plus discrète. Peut-être parce que je n’en reviens toujours pas de la chance que j’ai de pouvoir fabriquer des films. J’ai tellement vécu dans la hantise, de l’âge de 7 ans à 17 ans, de ne pas pouvoir travailler dans le cinéma. Je ne connaissais personne dans le spectacle, c’était à Paris. J’ai fait le deuil de tout ça pendant dix ans de ma vie, j’étais malheureux comme les pierres. Je n’en reviens toujours pas. 

Et ce malgré les différentes preuves de reconnaissance au long de votre carrière ?

Non, je continue à être le même enfant provincial surpris qui se dit « Mon Dieu, on te donne le droit de fabriquer un film ! ». Avec le nouveau que je suis en train de préparer, c’est pareil. Je me dis « Est-ce que c’est à cause de ma famille, moi qui vient de Roubaix ? » Ça continue à me stupéfier, peut-être parce que je suis timide de tempérament.