Rencontre avec Donald Sutherland, membre du Jury des Longs Métrages

Donald Sutherland, membre du Jury des Longs Métrages © Alberto Pizzoli / AFP

Né dans l’entre-deux-guerres, il a traversé les époques et avec elles, a été témoin des plus grandes mutations du 7e Art. Nourrie de près de cent cinquante films, la carrière de Donald Sutherland a vu défiler les plus grands, de Fellini à Aldrich, d’Altman à Herzog, de Chabrol à Bertolucci. Magnétique jusque dans sa manière d’évoquer ses souvenirs, l’acteur canadien, aujourd’hui âgé de 80 ans, a accepté de rebrousser chemin : direction le passé.

Votre première venue à Cannes ?

La première fois, c’était en 1968 pour Joanna, réalisé par Michael Sarne. À la fin du film, la jeune protagoniste, postée sur un petit balcon à l’arrière d’un train, a cette réplique : « Je reviendrai ! ». À ce moment-là, toute la salle a crié : « jamais ! ». Ça a été ma première expérience marquante au Festival de Cannes. Ensuite, je suis notamment revenu pour 1900, de Bernardo Bertolucci et pour Le Jour du fléau, de John Schlesinger.

Quel genre de cinéma vous émeut ?

Le bon cinéma ! Un cinéma qui raconte une histoire à la perfection et qui réussit à illuminer ma vie. Un cinéma qui creuse mon fort intérieur et mon âme, puis qui grandit en moi, m’infecte, me consume.

Vous allez souvent au cinéma ?

Je m'y rendais beaucoup quand j’étais étudiant à l’université de Toronto. J’avais toujours une après-midi de libre et j'allais dans un cinéma situé au bout de ma rue. Un jour, ils ont projeté le film d’un réalisateur italien que je ne connaissais pas. J’ai su après que le film s’appelait La Strada et que le réalisateur en question s’appelait Federico Fellini. Sa femme, Giulietta Masina, jouait dedans. La musique était de Nino Rotta. Je suis littéralement tombé amoureux du film. Je suis sorti de la séance en adoration pour le cinéma.

La Strada a donc été votre premier choc cinématographique ?

Non. Le premier est survenu quand j’ai vu Les Grandes Espérances, le film de David Lean, en 1946, avec ma mère. Dans une scène du film, Abel Magwitch, le personnage joué par Finlay Currie, bondit de derrière les arbres. J’ai alors moi-même bondi sur les genoux de ma mère et j’y suis resté jusqu’à la fin du film. Cela a été mon premier choc de pureté cinématographique. Un bon nombre d’années plus tard, en 1957, je suis allé voir un autre film, d’un type dont je ne connaissais pas le nom. Il s’appelait Stanley Kubrick et son film s'intitulait Les Sentiers de la gloire. Ce jour-là, ma vie a changé. J’étais en colère contre le monde. Rien que l’idée d’évoquer cette expérience de cinéma me donne envie de pleurer. Le cinéma de Gillo Pontecorvo m’a également ému au plus haut point. La Bataille d’Alger (1966) et Queimada (1969), avec Marlon Brando, ont marqué mon parcours de cinéphile.

Quel souvenir gardez-vous de votre première audition ?

C’était à Londres, pour un premier rôle. J’adorais le personnage pour lequel je postulais et je l’avais beaucoup travaillé. Je pensais avoir plutôt très bien réussi cette audition. J’attendais que mon agent m’appelle et quand le jour suivant, le téléphone a enfin sonné, j’ai eu au bout du fil le scénariste, le réalisateur et le producteur du film. Le scénariste prend la parole et me dit que mon audition a changé leur vie. Ils avaient, à la suite de mon passage, décidé de changer la façon de faire leur film, mais aussi de ne pas me retenir. J’étais sans voix. Ils souhaitaient un Monsieur tout le monde, et ils m’ont affirmé que je n’en serais jamais un.

« J’aime le cinéma lorsqu’il creuse mon fort intérieur et mon âme, lorsqu’il grandit en moi, m’infecte, me consume »

Votre premier tournage ?

C'était en 1964 pour Il Castello dei Morti Vivi, un film d'horreur de série Z de Warren Kiefer, qui a inspiré le prénom de mon fils. J’ai rencontré sur ce tournage la femme qui deviendra plus tard ma seconde épouse. Elle pensait que j’étais un bon acteur et un jour, elle a sollicité un homme qui avait été l’astrologue de Mussolini pour savoir ce que me réservait l’avenir. Après avoir examiné mes nombres fétiches, il m’a rappelé et m’a dit : « Tu vas devenir une star du cinéma ». J’ai eu des expériences incroyables en Italie.

À quel moment de votre carrière vous êtes-vous senti le plus épanoui ?

Dès la seconde où j’ai commencé à exercer ce métier. J’ai toujours souhaité devenir un acteur. Quand j’ai été voir mon père, qui était commerçant, pour lui dire que je voulais être acteur, il m’a simplement répondu : « Ok ». Tout le monde, à sa place, m’aurait dit que j’étais fou. Il a d’abord souhaité que je passe un diplôme d’ingénieur à l’université pour pouvoir rebondir, au cas où. À l’université, j’ai dit que je voulais être acteur et un jour, on m’a parlé d’une audition à laquelle je n’ai d’abord pas voulu aller. Mais un type a parié un dollar que j’allais décrocher le rôle. Alors j’y suis allé pour gagner, pas pour le rôle. Quand je suis arrivé sur scène, ils ont ri et quand j’en suis sorti, ils ont applaudi. J’ai eu droit à une standing ovation. Je n’ai jamais vécu ça depuis.

Vous qui avez vu grandir le cinéma, comment le trouvez-vous désormais ?

Sénile ! Il était tellement plus adulte auparavant, tellement plus beau. Il traverse une épreuve aujourd’hui pour des raisons financières, parce que la mentalité est celle des profits. À l’époque, Il n’y avait ni Facebook, ni Twitter, ni tous ces outils parasites. Quand M.A.S.H, de Robert Altman, est sorti, en 1970, il n’a pas bénéficié de publicité, mais il a rencontré le succès par le bouche-à-oreille, à la suite d’une unique projection. Il a été projeté pour la première fois au grand public dans un cinéma de New York, dans l’Upper East Side, un matin à 9h. La queue faisait deux fois le tour du pâté d’immeubles. C’était un autre temps, un autre business.