Festival de Cannes, au milieu du cinéma : Interview de Jean-Michel Frodon

Jean-Michel Frodon © DR

Photographe pour le quotidien du Film français pour son premier Cannes en 1982, critique reconnu pour Le Monde ou Slate, Jean-Michel Frodon signe le livre Festival de Cannes, au milieu du cinéma. Dans cet ouvrage bilingue français-anglais, le journaliste s’attache à rappeler l’importance du Festival en tant qu’outil stratégique majeur et vital pour le cinéma. Il y délie les différentes fonctions actives, dynamiques et bénéfiques que joue l’institution cannoise pour la vie du cinéma en général. Entretien.

Quel est le projet ?

Le projet s’est fait avec AOC (Analyse Opinion Critique), média d’informations en ligne quotidien, qui publie trois articles par jour pendant les cinq jours de la semaine, un entretien le samedi et une fiction le dimanche, et avec lequel je collabore régulièrement depuis sa naissance il y a trois ans. Il s’agit d’une commande spécifique du rédacteur en chef Sylvain Bourmeau à propos du Festival de Cannes. Je ne voulais en aucun cas me lancer dans des prédictions sur le 75e mais plutôt raconter sur la foi de l’existant.

 

Pourquoi Cannes est-il important pour le cinéma ?

C’est l’endroit du monde qui réussit le mieux la fusion de toutes les dimensions du cinéma, qui sont à la fois des projets artistiques, des histoires à raconter, des questions d’argent, de technologie, de glamour, de mythologies et de fan-clubs, de sujets à débat qui font polémique… Tous les gens qui sont ensemble à Cannes pendant 10 jours et tout ce dont ils parlent, les films, les projets, les moyens de les faire exister en production, de les faire circuler avec toutes les formes de diffusions, acquièrent à Cannes une sorte d’intensité maximum qui fait avancer plein de choses.

Quand le Festival récompense des cinéastes méconnus, l’effet est immédiat et mécanique, mais il y a aussi énormément de choses beaucoup plus souterraines qui s’activent ici. Cannes est le plus grand festival du monde mais contrairement aux autres festivals, il n’est dédié qu’aux personnes qui font le cinéma, ceux, ensuite, qui vont agir dans leurs fonctions de producteur, cinéaste, distributeur, critique, acheteur pour les plateformes… Cela sert toute l’année et cela garde actif tout ce qui mérite, selon moi, d’être appelé cinéma, qui concerne des objets qui sont conçus pour le grand écran et la salle, quel que soit l’endroit où nous finirons par les regarder.

 

Comment avez-vous illustré cela dans le livre ?

J’ai essayé d’illustrer cela à travers des exemples, et à travers mon expérience de 40 ans de Cannes. Il y a bien sûr une mini dimension historique dans ce petit livre car c’est le 75e anniversaire mais je considère qu’il s’est produit des choses majeures à Cannes et dans le cinéma mondial, au cours de ces quarante dernières années. Les années 80 et 90 ont changé la carte du cinéma mondial en accueillant, récompensant et considérant un très grand nombre de pays, en transformant en figures majeures des cinéastes iraniens, chinois, latino-américains, puis africains, sous des formes et des proportions qui n’avaient jamais existé avant. Le cinéma a cessé d’être un art blanc, et la planète du cinéma s’est mise à ressembler à la planète réelle. Cannes a joué un rôle central dans cette évolution-là.