Rencontre avec Asghar Farhadi, membre du Jury des Longs Métrages

Asghar Farhadi, Membre du Jury des Longs métrages © Maxence Parey / FDC

En Compétition avec Le Passé en 2013, Le Client en 2016, Everybody Knows en 2018, et Un Héros en 2021, le brillant scénariste, réalisateur et producteur iranien Asghar Farhadi endosse un nouveau rôle au sein du Jury des Longs Métrages. Entretien autour de sa cinéphilie.

Comment vivez-vous cette expérience au sein du Jury? 

C’est un exercice passionnant car pour chaque film que je vois, j’entends les impressions de huit personnes différentes. Chacun réfléchit à ses premières impressions avant de les transmettre aux autres. J’aime beaucoup cette expérience, on est un très bon groupe, je crois.

En 2014, Leila Hatami, actrice d’Une Séparation, disait lors d’une interview pour le Festival que faute d’accessoires, les actrices iraniennes devaient accentuer leur expression et leur langage corporel : est-ce différent en ce sens pour vous de filmer les acteurs en Iran ou à l’étranger ? 

Ma façon de travailler avec les acteurs est très proche, que je sois en Iran ou ailleurs. Une fois que je suis sur un plateau, je ne me souviens même plus d’où je suis. Mais je suis bien sûr conscient des restrictions qui sont levées quand je ne travaille pas en Iran. Je pense que c’est surtout au niveau de l’écriture que ces choses-là entrent en jeu. Je me sens libre d’écrire toutes les scènes que je veux. 
 

Dans quel sens ? 

Par exemple quand il s’agit d’un personnage féminin, s’il y a des scènes que je ne peux pas écrire, je les conçois toujours indirectement. Un homme et une femme ne pouvant pas se toucher, je ne vais pas écrire une scène avec un couple qui se touche. En dehors de l’Iran la question du genre ne se pose plus, je peux écrire de la même façon pour les hommes et pour les femmes, je n’ai plus de limites. 
 

Au sujet d’Everybody Knows, comment avez-vous réussi à réaliser un film aussi espagnol sans parler la langue, et sans vraiment connaître la culture ibérique ? 

Je ne parlais pas espagnol mais je suis resté là-bas en amont pour vraiment m’imprégner des détails de la vie culturelle locale. Il me faut toujours une année pour chaque projet avant de passer à l’écriture. Je passais mon temps à interroger les gens, même sur des choses extrêmement rudimentaires de la vie quotidienne. Je ne voulais pas que le spectateur espagnol se dise que le film avait été fait par un étranger, c’était la seule chose qui comptait pour moi. Quand j’ai eu écrit le scénario, la première chose que j’ai faite a été de le faire lire à des espagnols pour m’assurer qu’ils n’y trouveraient rien d’inhabituel.

En même temps, j’ai choisi un thème qui n’était pas éloigné de mon bagage culturel et de mon passé. Et j’ai regardé beaucoup de films espagnols pendant cette période-là, pour m’imprégner du cinéma du pays. Quand le film est passé à Cannes, j’ai eu une discussion avec Javier Bardem qui m’a dit qu’un critique espagnol extrêmement sévère avait dit qu’Everybody Knows était le film le plus espagnol de l’année. Ce commentaire est celui qui m’a le plus touché. 

Quels sont vos thèmes de prédilection ? 

Il y a toujours les mêmes thématiques qui reviennent en filigrane de façon plus ou moins explicite, dans tous mes films. Dans Everybody knows, ce que j’avais en tête dès la phase d’écriture, c’était la confrontation entre deux façons d’être : celle d’un homme extrêmement terrien, qui cultive la terre, avec, en face de lui, quelqu’un qui a les yeux levés au ciel, de beaucoup plus spirituel. C’était la même épreuve vécue par ces deux personnages, avec ces deux tendances opposées. 

Aussi, dans ce film, résidait l’idée du secret connu de tous, celui que tout le monde connaissait depuis 16 ans, sans que personne ne le trahisse. Tout le monde faisait semblant c’est pour ça que le film s’appelle « Everybody knows ». La question de la réputation, de l’image sociale est dans tous mes films, et au cœur de mon dernier film Un Héros. Dans notre culture, c’est une notion très importante. L’image que les autres ont de vous est un trésor, un capital. Beaucoup de gens investissent dans cette notion-là. Ce qui peut créer un contraste entre l’image sociale d’une personne et la personne réelle. 

D’où vous vient votre amour pour le cinéma ? 

Je pense que le goût du cinéma ne m’est pas venu du cinéma mais de l’amour du conte. J’ai la passion des histoires. Depuis tout petit, j’aime entendre quelqu’un raconter une histoire, ne serait-ce qu’un souvenir, mais en faisant attention à la forme du récit. Écouter ces récits, cela avait pour moi comme une dimension méditative. 

Encore aujourd’hui ?

Absolument, sur ce plan là je n’ai pas du tout changé. Tout ce que j’essaie de faire est de raconter une histoire, et de trouver les bons mots pour tel ou tel récit. Les formes d’art auxquelles nous sommes confrontés en tant qu’enfant sont à mes yeux les premières formes d’art : le son, la musique, les berceuses que nous chantent nos mères et, tout de suite après, les histoires qu’on nous raconte ou qu’on nous lit. Je pense que le conte est un trésor pour le monde entier, pour tous les peuples. 

Le film qui vous fait pleurer, qui vous fait rire ? 

Je pleure ou je ris facilement devant les films, parfois même devant un mauvais film. Je ne suis pas un spectateur si difficile parce qu’en fait, au fur et à mesure que je regarde le film, je l’améliore à ma façon dans mon esprit.

Vous le redirigez ? 

Oui, ça devient comme un jeu, je me raconte l’histoire autrement dans ma tête, avec un va et vient entre le film et mon esprit.