Rencontre avec Jasmine Trinca, membre du Jury des Longs Métrages

Jasmine Trinca, Membre du Jury des Longs métrages © Maxence Parey / FDC

C’est en 2001 à Cannes, dans La Chambre du fils, le film de Nanni Moretti récompensé de la Palme d’or, que le cinéma a pour la première fois braqué ses projecteurs sur Jasmine Trinca. Depuis, l’actrice italienne a enchaîné les succès en tournant avec les plus grands cinéastes de son pays. Membre du Jury des Longs Métrages, elle évoque ce parcours qui l’a menée à la réalisation de son premier film, Marcel !

Remontons un peu le temps. De quelle manière le cinéma vous a-t-il attrapée ?

Percer dans le cinéma pour devenir actrice n’a jamais été un rêve. Comme tous les enfants, je rêvais de devenir archéologue après avoir vu Indiana Jones ! Et puis, habitant Rome, j’avais tout ce qu’il fallait autour de moi pour nourrir cette ambition.

 

Et Nanni Moretti en a décidé autrement…

Ma participation à La Chambre du fils (2001) s’est nouée complètement par hasard. Un jour, Nanni Moretti est arrivé dans mon lycée pour chercher des acteurs non professionnels. J’avais 18 ans, j’étais très timide et je n’avais jamais été intéressée par les cours de théâtre de mon établissement. Mais j’étais très curieuse de rencontrer l’homme car j’aimais beaucoup le réalisateur et je me suis présentée aux essais. Nous en avons effectué plusieurs, étalés sur plusieurs mois, et j’ai finalement été choisie pour le rôle d’Irène.

 

Le film a recueilli un grand succès. Quel impact a eu cet engouement soudain sur vous ?

J’ai la chance d’avoir grandi dans un monde très différent de celui du cinéma. J’ai donc pu profiter de la beauté du moment sans que cela ait une quelconque influence sur moi. Quand nous sommes venus présenter le film à Cannes, j’ai été saisie d’une immense émotion qui était liée à l’expérience d’avoir tourné ce film durant presque un an et d’avoir partagé cela avec toute une équipe. Le rapport que j’entretenais avec Nanni Moretti était fort. C’était un peu mon maître. Il a fait germer en moi l’idée très sérieuse que je me fais aujourd’hui encore du cinéma. Je l’ai approché au travers de son regard d’auteur. Désormais, j’ai grandi et j’ai en quelque sorte tué le père en réalisant mon premier film, alors que j’avais imaginé arrêter après La Chambre du fils.

 

Mais encore une fois, le destin s’est chargé de vous ramener devant une caméra…

Je n’ai pas accepté immédiatement de devenir actrice. Mais deux ans plus tard, Marco Tullio Giordana, le réalisateur de Nos Meilleures Années (2003), m’a proposé de jouer dans ce film qui devait, à la base, être destiné à la télévision. Je crois que si des choses nous arrivent, c’est parce que quelque part, nous faisons tout pour leur laisser une place. D’une certaine façon, j’avais envie d’être regardée.

 

Les succès se sont ensuite enchaînés. Est-ce qu’il y a un film qui vous a changée ?

Après ces deux films, j’ai éprouvé des difficultés à m’affirmer dans les rôles féminins que j’interprétais. En Italie, les rôles de femmes n’existaient qu’au travers de ceux des hommes. Depuis Miele (2013) de Valeria Golino et Fortunata (2017) de Sergio Castellitto, les choses ont changé. J’aspire davantage à endosser des rôles qui sont différents de ce que je suis. Cela ouvre l’imagination. Valeria et Sergio ont ouvert mes perspectives avec des rôles marquants.

 

Comment choisissez-vous vos rôles depuis ?

J’essaye d’incarner des personnages féminins qui racontent aussi une autre facette de la femme. Si je devais interpréter le personnage d’une mère, il faudrait qu’il ne s’inscrive pas trop dans la mythologie de la mère telle que la société l’a dessinée. Pour Fortunata, j’ai endossé le rôle complexe d’une femme dans la tourmente. Il y a donc un aspect politique dans mes choix. Le cinéma forme l’imaginaire et je trouve important de créer des références différentes pour que le spectateur voit qu’un autre monde existe.

 

Que reste-t-il encore à faire pour que la parité soit respectée dans le cinéma ?

Les festivals jouent un rôle très important dans ce combat. À commencer par la composition des comités de sélection, qui contribuent changer ou à enrichir le regard. Depuis « MeToo », les réalisatrices italiennes sont davantage sollicitées pour mener des projets de films. Mais nous pouvons toujours le constater aujourd'hui : la parité n’est pas encore respectée. Il faut que les festivals donnent aux réalisatrices la possibilité d’exister. Il va falloir continuer à se battre mais cela ne me dérange pas car j’aime les combats qui ont un sens.

 

Passer à la réalisation, c’était aussi faire avancer la cause ?

J’ai commencé à sentir que le moment était venu de changer de perspective. Cela fait des années que je suis curieuse de renverser le regard. Faire l'actrice est toujours un grand plaisir car j’aime que l’attention soit portée sur moi. Mais avoir le regard de quelqu'un sur soit tout le temps, et notamment celle d’un metteur en scène qui vous idéalise, cela peut devenir lourd à porter. J’ai adoré, à l’inverse, poser mon regard sur mes actrices. Je me suis rendu compte à quel point elles sont des créatures magnifiques dotées d’une puissance et d’une fragilité mêlées. J’ai été très touchée de le constater de mes propres yeux.