Amor, mujeres y flores, le scandale des œillets colombiens

AMOR, MUJERE Y FLORES

Amor, mujeres y flores (Amour, femmes et fleurs), documentaire de 1984 présenté à Cannes Classics en version restaurée, dénonce, avant l’heure, les conditions de travail déplorables des travailleuses colombiennes dans les plantations d’œillets de la savane de Bogota, au nord de la capitale. En s’attaquant à ce symbole de réussite colombien, Marta Rodriguez réussit, à l’époque, à faire bouger les lignes. La franco-colombienne Gabriela Torres travaille dans la boîte de production fondée par la célèbre documentariste. Elle raconte la genèse de ce film.

Comment est né le projet à l’époque ?

Le documentaire était une idée de Jorge Silva, mari et compagnon de Marta. Ils formaient un couple de réalisateurs issus du Nouveau Cinéma latino-américain, mouvement de cinéastes engagés de gauche qui a construit un réseau en Amérique latine. C’est un couple iconique de ce mouvement-là. Jorge s’est intéressé aux luttes sociales, rurales et urbaines, et à ces travailleuses de la floriculture en particulier. Progressivement, les pressions autour du film ont fait que Jorge est tombé malade et il est mort en milieu de tournage. Marta a repris les rênes et a fini le film malgré toutes les difficultés politiques, et en dépit du puissant lobby des fleurs, qui traitait les employés de menteurs.

Quand ont-ils commencé à s’intéresser à ce sujet ?

Jorge était issu d’un milieu modeste, sa mère était femme de ménage et il n’avait pas fait d’études. C’était un autodidacte. Il avait cette image de sa mère, mère célibataire victime de violences au travail, et il identifiait sa mère aux femmes de la floriculture. Il a voulu en parler, visibiliser ce travail des femmes, et a commencé à coproduire le film avec un producteur anglais pour une chaîne de télévision.

On savait déjà à l’époque que des produits phytosanitaires dangereux étaient utilisés ?

Pas du tout. Il s’en est rendu compte car il avait quelques connaissances ainsi que de la famille dans la floriculture. Il a commencé à s’immiscer comme ça et à découvrir progressivement toutes les problématiques, écologiques comme sociales. C’est la raison pour laquelle il s’est mis plein de personnes à dos : il a d’abord tenté d’en parler librement avant de réaliser que l’image vendue par l’industrie des fleurs ne collait pas du tout à la réalité. Ce sujet était très symbolique car à l’époque, l’industrie colombienne des fleurs et des œillets était au centre de la production mondiale.

Quel impact a eu le film ?

Martha explique toujours qu’il s’agit de l’un de ses films les plus efficaces, en tout cas sur le moment, car il a permis, comme on le voit en le découvrant, d’amorcer un début de grève. Les personnes ont commencé à prendre conscience de la réalité de leur travail et de sa dangerosité. Pour Marta, il y avait cette envie d’accompagner les personnes, que ce soit dans l’éducation ou dans la protection sur leur lieu de travail, par exemple. Elle a mis en place des cours de sensibilisation sur les pesticides et, à court terme, le fim a obligé ces entreprises de fleurs à mieux encadrer et protéger les travailleurs. Marta travaille toujours comme ça : elle fait un film mais à côté, elle veut qu’il ait un impact dans la réalité  sur les personnages et sur leur vie.