L’histoire du Festivalau service de l'art cinématographique

L’histoire du Festival de Cannes
Festival de Cannes, 1947 © AFP

Le Festival de Cannes est aujourd’hui le rassemblement cinématographique le plus prestigieux et l’événement culturel le plus médiatisé au monde. S’il est devenu ce lieu incontournable pour les pays producteurs de films, c’est au fil de son histoire, de ses sélections et de ses récompenses, qu’on a coutume de compter à partir de 1946, date de sa première édition effective. Pourtant, il faut remonter huit ans en arrière pour entrevoir l’origine de sa création.

RIVALISER AVEC LA MOSTRA POUR CONTRER LA MENACE FASCISTE

En Juillet 1938, la Mostra de Venise, première compétition internationale dédiée au 7e art, rassemble pour la sixième fois les grands pays producteurs de cinéma de l’avant-guerre. La France est représentée par une sélection de films et, au sein du jury, par le diplomate Philippe Erlanger.
Le jour du palmarès, l’unanimité se fait sur un film américain mais sous la pression d’Hitler, c’est finalement le documentaire de propagande nazie, Les Dieux du stade (Olympia film) de Leni Riefenstahl et le film italien Luciano Serra, pilote (Luciano Serra, pilota) de Goffredo Alessandrini qui reçoivent la plus haute distinction, nommée « Coupe Mussolini ». La décision provoque un tollé parmi les membres représentants des démocraties et la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne quittent la Mostra bien décidés à ne plus y revenir.
Dans le train qui le ramène en France, Philippe Erlanger pense à organiser une manifestation en remplacement de la Mostra pour donner au monde un festival libre, sans pression ni contrainte. Dès son retour, il contacte les autorités concernées. Le temps presse pour mettre en place un festival français capable de concurrencer le prochain concours vénitien.

De septembre 1938 à mai 1939, l’initiative devient une véritable affaire d’État. Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, craint d’envenimer les relations franco-italiennes mais Jean Zay, alors ministre de l’Éducation nationale, et Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, soutiennent l’idée selon laquelle l’Europe doit se doter d’un festival de cinéma où l’art ne serait pas influencé par les manœuvres politiques. En juin 1939, les médias annoncent officiellement la création d’un Festival de cinéma en France, soutenu par divers pays producteurs de films, Etats-Unis en tête, et dont l’ouverture est prévue le 1er septembre, en même temps que la Mostra. Il ne reste alors que quelques mois pour préparer la manifestation.

Cannes, entre Venise et Hollywood

La France doit donner à son Festival un cadre aussi prestigieux que Venise. Sur une liste d’une dizaine de villes françaises, Biarritz est d’abord retenue comme siège le 9 mai 1939. Mais les partisans de Cannes autour de Georges Prade, conseiller municipal de Paris, et des directeurs de palaces cannois, finissent par remporter l’implantation de la manifestation. C’est ainsi que le 31 mai 1939, la ville de Cannes et le gouvernement signent la naissance officielle du Festival International du Film, seulement trois mois avant la date d’inauguration de l’événement. La « perle de l’azur » implantée sur une côte que l’on compare volontiers à la Californie, se prend à rêver d’ « Hollywood ».

LE FESTIVAL N’AURA PAS LIEU

Le premier Festival de 1939 doit initialement se tenir du 1er au 20 septembre 1939 dans la salle du Casino municipal sous la présidence d’honneur de Louis Lumière, père du cinématographe. Pour mener à bien cette première édition, un comité d’organisation a été créé, à la tête duquel est nommé Georges Huisman, président du secrétariat d’État aux Beaux-Arts.

L’accent est mis sur l’esprit universel de la manifestation : chaque pays choisit les films qu’il présentera en Compétition, le jury représente l’ensemble des participants et toutes les nations présentes doivent recevoir un Grand Prix dans un esprit d’objectivité artistique et d’impartialité absolue. Pour ne pas créer de tensions supplémentaires, la France invite tous les pays producteurs de films, y compris l’Allemagne et l’Italie. Mais dans le contexte de crise politique de l’été 1939, les deux pays fascistes déclinent l’invitation et seulement neuf pays sont finalement en mesure de participer à la première édition du Festival. Parmi eux, les États les plus puissants de l’industrie cinématographique.
En août, malgré les tensions internationales, tout est prêt pour l’ouverture. Le peintre cannois Jean-Gabriel Domergue a signé une première affiche officielle en forme d’« Invitation au voyage », deux mille invitations ont été envoyées, un transatlantique loué par la Metro Goldwyn Mayer (MGM) jette l’ancre dans la baie de Cannes avec, à son bord, les vedettes américaines Tyrone Power, Gary Cooper, Douglas Fairbanks, George Raft, Paul Muni, Norma Shearer ou encore Mae West… Les prestigieux premiers festivaliers profitent d’une ambiance luxueuse, festive et ensoleillée.

Pourtant, le festival 39 n’aura pas lieu. Le 23 août, le monde apprend avec stupéfaction la nouvelle du pacte germano-soviétique. La plupart des touristes quittent Cannes. Malgré la gravité de la situation, le comité du festival organise à titre privé la seule projection que connaîtra cette édition, celle du premier film américain en Compétition, Quasimodo (The Hunchback of Notre-Dame) de William Dieterle.

Le 1er septembre, date prévue de l’inauguration du Festival, les troupes allemandes envahissent la Pologne. L’ouverture est reportée de 10 jours mais les événements se précipitent. Le 3 septembre, la guerre est déclarée et la mobilisation générale lancée : le Festival ne peut commencer. Sa sélection comptait des films aussi prestigieux que Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz) de Victor Fleming, Seuls les anges ont des ailes (Only Angels Have Wings) de Howard Hawks, Pacific Express (Union Pacific) de Cecil B. DeMille pour les Etats-Unis ou encore Lénine en 1918 (Lenin v 1918 godu) de Mikhaïl Romm pour l’URSS, Les Quatre plumes blanches (The Four Feathers) de Zoltan Korda pour la Grande-Bretagne et La Loi du Nord de Jacques Feyder, L’Enfer des anges de Christian-Jaque et La Charrette fantôme de Julien Duvivier pour la France.

Son Palmarès, lui, ne sera remis qu’en 2002, lors d’un hommage à cette sélection oubliée. Avec 63 ans de retard, la Palme d’or 1939 est alors décernée à l’unanimité à Pacific Express (Union Pacific) de Cecil B. DeMille par un Jury présidé par Jean D’Ormesson.

UNE PREMIÈRE ÉDITION AU LENDEMAIN DE LA GUERRE

Début 1940, malgré la déclaration de guerre et la mobilisation, les responsables cannois menés par Philippe Erlanger tentent de maintenir le projet du Festival. Diplomatiquement, la France doit alors obtenir l’accord et la participation de l’Italie dont la position dans le conflit n’est pas encore officielle. Contre toute attente, Mussolini accepte, à la condition que la Compétition française ne se déroule pas en même temps que celle de la Mostra.

Pourtant, le 10 juin, le Duce déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne, ajournant durablement une manifestation dont l’organisation était déjà très compromise par les problèmes logistiques posés par la guerre : insuffisance des crédits, désorganisation du ravitaillement, avarie d’équipements cinématographiques, conditions de transports décourageant la venue des personnalités françaises et étrangères, sans compter la réquisition du Casino municipal par l’armée…

Il faudra attendre 1946, au sortir de la guerre et dans une France exsangue, pour que le projet du Festival international du film, initié neuf ans auparavant par Philippe Erlanger, se concrétise enfin dans une toute première édition qui s’ouvre le 20 septembre.

« C’était la première fête que s’offrait le monde dans une sorte d’ivresse, sous un soleil qui ne cessa de briller jusqu’à la mi-octobre.»

Philippe Erlanger

Les réjouissances, ouvertes dans les jardins du Grand Hôtel par la cantatrice américaine Grace Moore se poursuivent tout au long de la Compétition par de nombreux divertissements qui ancrent les premières éditions du Festival dans une ambiance mondaine et festive : feux d’artifice, retraite aux flambeaux, corso, lâcher de colombes, batailles de fleurs sur la Croisette, meeting aérien, défilés de mode, élection de la première miss Festival,…
La Compétition, organisée selon les principes érigés en 1939, compte 19 pays et un jury international présidé par Georges Huisman. Si les projections organisées dans le Casino municipal sont perturbées par quelques incidents techniques dus au manque de temps de préparation, toutes les nations présentes repartent avec un Grand prix et cette première édition s’achève sur un sentiment unanime de succès, tant du point de vue de la presse que de celui des délégations étrangères.

Le Festival de Cannes vient de naître et il commence à écrire son histoire avec les plus grands noms du cinéma de l’époque, parmi lesquels Roberto Rossellini, Walt Disney, Billy Wilder, George Cukor, David Lean, Jean Renoir…

PAILLETTES, CENSURE ET GUERRE FROIDE

Si les premières éditions du Festival en font d’abord un événement mondain durant lequel presque tous les films repartent avec un prix, la venue de stars du monde entier sur ses marches et sa médiatisation sans cesse croissante lui forgent rapidement une renommée internationale et légendaire. Dans les années 50, le Festival gagne en popularité grâce à la présence de célébrités telles que Kirk Douglas, Sophia Loren, Grace Kelly, Brigitte Bardot, Cary Grant, Romy Schneider, Alain Delon, Simone Signoret, Gina Lollobrigida ou encore Pablo Picasso, accueillies dans le nouveau « Palais Croisette » inauguré pour l’édition de 1949.

Pourtant, c’est avant tout une décennie où le Festival doit faire ses preuves sur fond de guerre froide, car, au-delà des paillettes, les blocs de l’Est et de l’Ouest s’affrontent à Cannes par films interposés. Pour éviter tout incident diplomatique quant à la sélection des films, les organisateurs ajoutent au règlement de la manifestation un article autorisant le retrait d’un film, dans certaines conditions. Le comité y aura recours onze fois au cours des années 50, avec un record en 1956 qui connaît six cas de censure. À la suite de cette édition, les organisateurs décident de supprimer l’article du règlement, ouvrant par ce geste une nouvelle ère pour le Festival, où le souci de la qualité cinématographique prend le pas sur les préoccupations diplomatiques.

En plus du climat tendu qui rend la cohabitation des œuvres compliquée, le Festival doit faire face au cours des années 50, à l’émergence d’un grand nombre d’autres festivals français et européens qui l’obligent sans cesse à s’adapter et à innover pour assurer sa suprématie. C’est dans ce contexte de rivalité que deux éditions sont annulées faute de budget en 1948 et en 1950, et que les dates de la manifestation sont décalées au printemps, en mai, à partir de 1952.

« Le but du Festival est d’encourager le développement de l’art cinématographique sous toutes ses formes et créer et maintenir un esprit de collaboration entre tous les pays producteurs de films. »

 

(extrait du règlement, 1948.)

De 1947 à 1954, le jury est exclusivement composé de personnalités françaises et toutes les sélections de la Compétition internationale se disputent un seul Grand Prix et des prix secondaires attribués en fonction des qualités des films : Prix du divertissement, du Documentaire romanesque, du Film le mieux raconté par l’image, de l’Humour poétique, du Film légendaire ou encore du Film d’explorateur… On récompense notamment l’innovation technique avec l’arrivée des films en couleurs et le format Cinémascope, mais la fantaisie des prix suscite de nombreuses critiques. Pour apaiser la situation, les responsables cannois reviennent à un palmarès plus classique à partir de 1954, et en 1955, c’est un jury composé de personnalités étrangères et appartenant aux métiers du cinéma qui décerne la première Palme d’or de l’histoire du Festival au film Marty de Delbert Mann.

LES ANNÉES MALRAUX

Des sélections audacieuses

En 1959, à l’instauration de la Ve République, André Malraux alors ministre des Affaires culturelles, se trouve à la tête de l’organisation du Festival et de la validation de la sélection des films français. Sensible à l’évolution du cinéma, il ouvre la compétition à une nouvelle génération de réalisateurs, comme François Truffaut récompensé pour Les Quatre cents coups en 1959, et impose la sélection d’œuvres audacieuses et engagées comme Hiroshima mon amour (1959) et La Guerre est finie (1966) d’Alain Resnais, Le Joli mai de Chris Marker, et surtout La Religieuse de Jacques Rivette (1966). Cette dernière projection demeure comme l’un des plus grands scandales de l’époque aux côtés de celles de La Dolce Vita de Federico Fellini et de L’Avventura de Michelangelo Antonioni en 1960 ou encore de Viridiana de Luis Buñuel en 1961.À la même période, Robert Favre Le Bret (Délégué général du Festival) commence à parcourir le monde pour enrichir la sélection. Une stratégie payante qui perdure encore aujourd’hui et permet au Festival d’inviter Bette Davis, Joan Crawford, John Wayne, Kirk Douglas ou Sean Connery sur la Croisette, et de se prévaloir de la reconnaissance de films tels que Les Oiseaux (The Birds) d’Alfred Hitchcock (1963), Le Prix d’un homme (This Sporting Life) de Lindsay Anderson, Le Guépard (Il Gattopardo) de Luchino Visconti ou encore Huit et demi (8 ½) de Federico Fellini…

Entre art et industrie

Ainsi, les films et les vedettes contribuent à braquer tous les projecteurs sur le Festival, mais pour André Malraux, le cinéma est aussi une affaire d’industrie. En 1959, il officialise le Marché du film qui se tenait clandestinement depuis 1946 dans les cinémas de la rue d’Antibes. En installant les professionnels de l’industrie cinématographique à l’intérieur du Palais pour les encourager à tisser des collaborations, le Festival affirme alors pleinement son rôle dans le développement de l’industrie du film.

Mai 68 : un pavé dans l’écran

A la fin des années 60, le malaise social profond qui s’est emparé de la France se durcit dans la nuit du 10 au 11 mai 1968. Le 11 mai, le Festival de Cannes ouvre pourtant sa 21e édition avec la projection de la copie restaurée d’Autant en emporte le vent (Gone with the Wind, 1939) de Victor Fleming. La manifestation se change rapidement en lieu de meetings et de contestation. Les membres du Jury démissionnent, les réalisateurs retirent leurs films, et le 19 mai 1969 à midi, le Festival est interrompu après que Louis Malle, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Berri, Milos Forman, Roman Polanski, Claude Lelouch, ont empêché la projection de Peppermint frappé de Carlos Saura, en s’accrochant au rideau rouge de la scène pour le maintenir fermé.

Note : En marge de la Sélection officielle, deux sélections indépendantes voient le jour dans les années 60 : la Semaine Internationale de la Critique en 1962 et la Quinzaine des Réalisateurs en 1969.

EN ROUTE VERS UNE NOUVELLE IDENTITÉ

Après les contestations exprimées en 1968, les organisateurs du Festival comprennent l’importance de se moderniser en adhérant aux idées en vogue, à commencer par la liberté de création au cinéma. Les films sélectionnés en 1969, largement imprégnés de thématiques révolutionnaires, traduisent cet état d’esprit contestataire, tout comme le palmarès qui récompense cette même année If de Lindsay Anderson, Easy Rider de Dennis Hopper ou encore Z de Costa-Gavras.

En 1972, Robert Favre Le Bret devient Président du Festival de Cannes et Maurice Bessy lui succède au poste de Délégué général. À son arrivée, il décide de diversifier la Sélection pour accueillir d’autres catégories de films. De cette initiative naîtront en 1973 « Perspectives du cinéma français » et la section « Les Yeux fertiles » qui promeut des films sur d’autres formes d’art. En 1973, c’est au tour du Festival lui-même d’affirmer son indépendance en devenant le seul décisionnaire de la Sélection officielle quand jusqu’ici, les films pouvant prétendre à la Sélection étaient désignés par leur pays d’origine. En 1976, deux nouvelles sections parallèles voient le jour, il s’agit de « L’Air du temps » qui présente des films d’actualité et du « Passé composé », dédiée aux films de montage.

Association loi de 1901 gérée par un Conseil d’administration, le Festival de Cannes a été reconnu d’utilité publique en 1972.

Côté scène, alors que l’on célèbre les 75 ans du cinéma français, des hommages sont rendus à Charlie Chaplin et Groucho Marx, tous deux distingués par la Légion d’honneur en 71 et 72. Les producteurs de Woodstock jouent les hippies au milieu des smokings, Francis Ford Coppola triomphe avec un Grand Prix pour The Conversation (Conversation secrète) en 1974 et une Palme d’or pour Apocalypse Now en 1979, tandis qu’aux côtés de Paul Newman, Robert Redford et Dustin Hoffman, on découvre les visages de Gérard Depardieu et Robert de Niro…

En 1978, Gilles Jacob est nommé Délégué général. Il prend des mesures qui marqueront durablement l’identité du Festival : starisation du Jury, réduction de la durée de la manifestation et du nombre de films Hors Compétition, regroupement des sections parallèles au sein de la sélection Un Certain Regard, création du prix de la Caméra d’or qui récompense le meilleur premier film toutes sélections confondues, et apparition de films surprises et de séances de minuit.

L’ÂGE MODERNE

Sous la direction du tandem composé par Gilles Jacob et Pierre Viot, nommé Président en 1984, le Festival s’incarne dans une volonté affirmée de faire émerger des nouveaux talents et de défendre la liberté d’expression afin qu’à Cannes, les cinématographies du monde entier puissent trouver un terrain d’expression.

C’est ainsi que les Philippines, la Chine, Cuba, l’Australie, l’Inde, la Nouvelle-Zélande et l’Argentine, entre autres, font leur entrée dans les sélections et que chaque année, la Compétition donne à des cinéastes l’occasion d’accéder à une reconnaissance internationale aux côtés de valeurs reconnues. Dans ces années-là, on assiste notamment aux révélations d’Alain Corneau, André Téchiné, Stephen Frears, Leos Carax, Lars Von Trier, Spike Lee, Jim Jarmusch et Emir Kusturica.

À leurs côtés, les noms déjà illustres de : Sergio Leone, Theo Angelopoulos, Bertrand Tavernier, Peter Greenaway, Ettore Scola, les Frères Taviani, Nikita Mikhalkov, Woody Allen, Jean-Luc Godard, Bernardo Bertolucci, Milos Forman, Francesco Rosi, John Huston, Andrzej Wajda , James Ivory, Andreï Tarkovski, Ken Loach, Andrzej Zulawski, Andrzej Wajda ou encore Akira Kurosawa, consacré avec Kagemusha, l’ombre du guerrier et Wim Wenders et son Paris, Texas, Palme la plus applaudie de la décennie.

En 1987, le 40e anniversaire du Festival présidé par Yves Montand rend hommage au maestro Federico Fellini. La cérémonie de clôture reste dans les mémoires. Au moment de recevoir sur scène sa Palme d’or très controversée, pour Sous le soleil de Satan, Maurice Pialat, poing levé, répond aux sifflets du public par une apostrophe devenue célèbre : « Vous ne m’aimez pas ! Je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ! »

Deux ans plus tard, en 1989, la première rencontre « Cinéma & liberté » réunit à Cannes une centaine de réalisateurs autour d’un grand débat pour célébrer la chute du mur de Berlin et l’anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Les auteurs engagent une réflexion sur la liberté d’expression. Entre autres, Théo Angelopoulos, Bernardo Bertolucci, Yves Boisset, Youssef Chahine, Jerry Schatzberg, Wim Wenders, Emir Kusturica, Ettore Scola… signent une déclaration pour protester contre toutes les censures qui existent encore dans le monde.

Un nouveau Palais pour une nouvelle ère

Symboliquement, l’ère moderne du Festival est aussi marquée par un changement de lieu. Depuis la fin des années 70, devant le succès grandissant de la manifestation, les responsables ont compris qu’il faudrait tôt ou tard un nouveau Palais. A la fin de l’édition de 1982, le triomphe d’E.T., the Extra-Terrestrial de Steven Spielberg marque la dernière projection du Palais Croisette qui sera démoli en 1988.

Le nouvel édifice, conçu par Druet et Bennett est achevé en 1983 et prend le nom de Palais des Festivals et des Congrès, ou « Bunker » pour les initiés. Il accueille comme première séance, en rodage, la projection de La Valse des pantins (The King of Comedy) de Martin Scorsese.
Ses nouvelles installations, le Grand Théâtre Lumière et l’auditorium Claude Debussy contribuent au rayonnement du Festival mais également à l’essor continu du Marché du film qui, passant le cap des 2.000 exposants et des 600 projections quotidiennes à la fin de la décennie, devient le plus important Marché du film au monde. À partir de cette époque, l’ascension des vingt-quatre célèbres marches rouges, devient un véritable rite cannois, médiatisé dans le monde entier.

LE MONDE À L’ÉCRAN

Dans les années 90, le Festival continue son expansion médiatique et son rayonnement profite à la promotion de nouvelles cinématographies.
Les palmarès récompensent des metteurs en scène venus du continent africain, d’Asie, d’Amérique Latine ou encore des pays de l’Est, stimulés par l’ouverture de l’ex-URSS comme en témoignent Pavel Lounguine, ou Vitali Kanevski. Le plus éclatant succès durant cette décennie revient aux réalisateurs asiatiques : Chen Kaige s’empare de la Palme avec Adieu ma concubine (Bawang Bieji), Vivre ! (Huo zhe) et Shanghai Triad (Yao a yao yao) de Zhang Yimou font leur entrée au Palmarès, Le Maître de marionnettes (Hsimeng Rensheng) de Hou Hsiao-hsien repart avec le Prix du jury et la sélection de Happy Together (Cheun gwong tsa sit) ouvre la reconnaissance à Wong Kar-wai. Rithy Panh, réalisateur cambodgien, obtient également une Mention spéciale pour Les Gens de la rizière (Neak sre).

À l’ouest, le boycott du Festival par les majors américaines en représailles des accords du GATT (quota d’images que veulent imposer l’Europe et la France au nom de l’exception culturelle), donne l’opportunité au cinéma indépendant américain de s’implanter sur la Croisette : en 1991, Joel et Ethan Coen remportent la Palme d’or avec Barton Fink et trois ans plus tard, c’est au tour de Pulp Fiction de Quentin Tarantino de dominer le Palmarès.
Au-delà des frontières, les sélections cannoises continuent de donner une représentation de l’époque, avec des œuvres engagées qui alimentent les débats sur la Croisette quand la caméra se fait témoin de l’histoire et de l’actualité, par exemple avec Land and Freedom de Ken Loach, La Haine de Mathieu Kassovitz, Underground d’Emir Kusturica, Le Regard d’Ulysse (To vlemma tou Odyssea) de Theo Angelopoulos, Jungle Fever de Spike Lee ou encore Welcome to Sarajevo de Michael Winterbottom.

Francesco Rosi inaugure La Leçon de Cinéma en 1991. Dans son sillage de prestigieux réalisateurs se succèderont pour donner un aperçu de leur parcours d’artiste et de leur vision du cinéma. Sur le même principe, la première Leçon de Musique est donnée en 2003 par Nicola Piovani et la première Leçon d’Acteur par Max Von Sydow en 2004.

50 ANS DE FESTIVAL…

À l’occasion de la Cérémonie du 50e anniversaire, tous les réalisateurs déjà primés par la Palme d’or sont réunis sur scène pour remettre la « Palme des Palmes » à Ingmar Bergman. En son absence, ce sont Liv et Linn Ulmann, sa femme et sa fille, qui reçoivent le trophée.
À la clôture, c’est à Youssef Chahine de recevoir le Prix du 50e anniversaire pour son Destin (Al Massir) et pour l’ensemble de son œuvre, des mains de la Présidente du Jury, Isabelle Adjani. Le Goût de la cerise (Ta’m e guilass) de Abbas Kiarostami et L’Anguille (Unagi) de Shohei Imamura remportent la Palme ex-aequo.

En 1998, la décennie s’achève tournée vers l’avenir avec la création par Gilles Jacob d’une nouvelle sélection de courts et moyens métrages d’écoles de cinéma du monde entier, nommée la Cinéfondation. L’entité se développe en 2000 avec l’ouverture de La Résidence, où de jeunes réalisateurs viennent mener à bien l’écriture de leur scénario. Puis en 2005, avec l’Atelier, qui aide une vingtaine de réalisateurs par an à trouver des financements pour leur film.

Linn Ullmann et Liv Ullmann © FDC
Linn Ullmann et Liv Ullmann © FDC

UN NOUVEAU MILLÉNAIRE

Le Festival de Cannes aborde cette nouvelle ère avec une équipe remaniée. Gilles Jacob est élu Président et succède à Pierre Viot qui occupait ce siège depuis 1985. De 2001 à 2005, il est épaulé dans ses fonctions par Véronique Cayla, Directrice générale, et Thierry Frémaux, Délégué artistique. La nouvelle direction oriente la manifestation de manière à faciliter les échanges entre pays de cinéma et prend conscience de l’importance de se renouveler pour préparer l’avenir, notamment dans ses avancées technologiques.
Ce début de millénaire verra notamment l’expansion constante du Marché du Film et la création du Village international, tribune de cinématographies internationales inaugurée en 2000 avec 12 pays et qui en compte aujourd’hui une soixantaine.

En 2007, pour fêter les 60 ans du Festival, 33 des plus grands réalisateurs du monde sont réunis sur la scène du Grand Théâtre Lumière après avoir été invités à participer au film anniversaire Chacun son cinéma, par la réalisation d’un court métrage de 3mn sur le thème de la salle de cinéma. L’anniversaire est aussi l’occasion de s’interroger sur les enjeux du cinéma de demain au cours d’un colloque qui réunit plus de 300 professionnels autour des nouveaux enjeux numériques. C’est également lors de cette édition qu’est inaugurée une nouvelle salle de cinéma sur le toit de la Riviera, la « salle du Soixantième », renommée salle Agnès Varda en 2022.

En juillet 2007, le Conseil d’administration nomme Thierry Frémaux Délégué général du Festival, puis en 2014, Pierre Lescure est élu Président du Festival de Cannes par le Conseil d’Administration pour succéder à Gilles Jacob, nommé Président d’Honneur et Président de la Cinéfondation à partir du 1er juillet 2014.

SE TOURNER VERS DEMAIN

En mai 2017, le Festival passe le cap de sa 70e édition sous la houlette du nouveau tandem dirigeant. Pour fêter l’entrée dans cette nouvelle décennie, une centaine d’artistes – Palmes d’or, lauréats, Présidents et membres des jurys – sont réunis lors d’un photo call exceptionnel.

En 20 ans, Thierry Frémaux a donné à la manifestation de nouvelles directions qui se sont par exemple traduites par la création de « Cannes Classics » en 2004, la réunion de la Compétition des courts métrages et du Short Film Corner sous l’entité dynamique « Cannes Court Métrage » en 2010, l’encouragement de la cinéphilie avec les « 3 jours à Cannes » en 2019 ou encore le tournant écologique pris en 2021.

Il s’est également attaché à faire voyager la Sélection officielle. C’est ainsi qu’avec le Marché du Film, il crée en 2009 La Semana de Cine del Festival de Cannes, organisée chaque année à Buenos Aires, en même temps que Ventana Sur, et s’associe aux Films de Cannes à Bucarest lancés par le réalisateur roumain Cristian Mungiu en 2010. Bientôt nommé « Cannes Film Week », ce programme qui fait connaître les films de Cannes à travers le monde a également connu une édition à Hong-Kong en 2019.

En 2020, malgré son annulation en raison de la pandémie de coronavirus, le Festival a soutenu l’industrie cinématographique en sélectionnant et accompagnant 56 longs métrages et 28 courts-métrages regroupés sous le label « Cannes 2020 ». Le Marché du Film a lui aussi dû se réinventer et s’est tenu dans une version 100% en ligne (Marché du Film Online) qui a permis aux professionnels de l’industrie cinématographique du monde entier de se retrouver autour de nombreux événements virtuels.
Sur les écrans du palais, aux côtés de la « famille cannoise » d’artistes fidèles au festival, la dernière décennie a notamment vu éclore ou se confirmer des talents aussi que variés que ceux de Bong Joon-ho, Nadine Labaki, Ruben Östlund, Sofia Coppola, Yórgos Lánthimos, Alice Rohrwacher, Xavier Dolan, Maïwenn, Lukas Dhont, ou encore Julia Ducournau, Palme d’or en 2021.