L’ombre de Goya par Jean-Claude Carrière : interview de José Luis Lopez-Linares

Photo du film L’OMBRE DE GOYA PAR JEAN-CLAUDE CARRIÈRE de Jose Luis LOPEZ LINARES © DR

Tourné en Espagne juste avant la pandémie, le documentaire L’ombre de Goya par Jean-Claude Carrière suit les pas du brillant écrivain et ancien collaborateur de Luis Buñuel, sur les traces du peintre Francisco de Goya (1746-1828). Un double hommage aux allures de dernier voyage pour l’artiste français, décédé en février 2021. Interview de José Luis Lopez-Linares, le réalisateur. 

Comment cette aventure a-t-elle commencé ?

J’avais collaboré avec Jean-Claude dans le cadre d’un documentaire que j’avais fait sur Luis Buñuel et par ailleurs, mon film Le mystère Jérôme Bosch avait été très bien accueilli. J’ai décidé de recontacter Jean-Claude pour faire un film sur un autre peintre, Goya. Il a passé 10 jours en Espagne avec nous, nous a suivis sur les traces de la vie de Goya, du musée du Prado au village de Fuendetodos près de Saragosse, où le peintre était né. Il suffisait que Jean-Claude se mette devant un tableau, devant la maison de Goya ou autre, pour s’inspirer du moment. Il élaborait tout de suite une histoire, c’était extraordinaire. C’est peut-être pour cela que le film a ce naturel, il m’a suffit de le suivre avec les caméras.

 

Quels parallèles peut-on faire entre la vie de Goya et celle de Jean-Claude Carrière?

Jean-Claude, qui a beaucoup travaillé en Espagne, partageait cet amour pour l’Espagne avec Goya, ses bons et ses mauvais côtés. Ils avaient en commun cette infinie curiosité, ces vastes connaissances qu’ils avaient aussi besoin de transmettre. Notre micro était toujours allumé afin de capter ces moments, lors des déplacements. Le train, par exemple, est utilisé dans le film comme une sorte de métaphore du voyage.

« Chaque conversation était prétexte à raconter de grandes choses. »

Quel est l’angle du documentaire, pourquoi Goya ?

Le documentaire tourne autour du mystère Goya, car sa vie et sa peinture sont entourées de mystères. Le peintre devient radicalement sourd du jour au lendemain. Il n’entend plus rien. Sans l’avoir prévu, il a dû apprendre à communiquer en langue des signes, et s’adapter. Il est très intéressant d’observer que dans le portrait de la duchesse d’Alba, le geste qu’elle fait avec sa main dessine les contours de la lettre G dans la langue des sourds. Quelques dessins signés de Goya représentent même l’alphabet entier du langage des signes. Le documentaire essaie de montrer l’influence qu’a pu avoir ce bouleversement total sur sa peinture. Et l’autre thème est aussi l’impact qu’a pu avoir la Révolution Française sur sa vie, pour ce peintre qui vivait de son art auprès des rois. Nous n’avons pas voulu faire un film de spécialistes de l’art, nous voulions quelque chose de beaucoup plus accessible.

 

Le film aborde tout de même le style de Goya, pouvez-vous nous en dire plus ?

De même qu’il a su peindre les portraits de la comtesse de Chinchón ou d’enfants avec une immense délicatesse, il a su, comme personne et dans les moindres détails, transmettre l’horreur de la guerre en Espagne, des images d’une violence inouïe. Ce contraste entre délicatesse et brutalité est fascinant. Aucun peintre n’a peint la violence aussi explicitement que Goya. C’est ce que dit Carlos Saura dans le film, cette démarche est très aragonaise. Sa terre natale est une terre de contrastes.