Novembre : l’interview de Cédric Jimenez

Photo du film NOVEMBRE de Cédric JIMENEZ © DR

Alors qu’il présentait Bac Nord l’an dernier à Cannes, Cédric Jimenez était en plein tournage de Novembre, sélectionné Hors Compétition. Le titre se veut sobre, à l’image de la ligne qu’il s’est appliqué à suivre dans le traitement d’un sujet sensible : les cinq jours d’enquête qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

Comment le projet de Novembre est-il venu à vous ?

Olivier Demangel, le scénariste, a développé le scénario pendant plusieurs années puis Mathias Rubin, le coproducteur du film, est venu me proposer le film. Au départ, quand ils m’ont appelé, j’étais assez réticent compte tenu du sujet, de ce qu’il représente, du fait que ce soit assez récent. Mais j’aime beaucoup le travail d’Olivier Demangel et, connaissant sa finesse, j’ai voulu voir ce qu’il avait écrit.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de vous lancer ?

J’ai trouvé ça bouleversant, très intelligent dans son parti pris, dans le fait de n’être que du point de vue de l’enquête et de ne pas montrer les attentats comme j’aurais pu le craindre, sans quoi je n’aurais pas fait le film. L’enquête, ce qu’on ne connaît pas de ces cinq jours, j’ai trouvé ça passionnant, touchant, avec la bonne distance. J’ai donc décidé d’y aller et de m’impliquer. On a en partie réécrit le scénario avec Olivier pour y intégrer ma touche.

Avez-vous aussi participé au travail de recherche ?

Il était largement entamé puis on a poursuivi ensemble. C’est un projet particulier car il est soumis au secret de l’instruction judiciaire et la sous-direction antiterroriste (SDAT) est un service classé secret défense. Ce que nous avons documenté, c’est la manière dont ils travaillent, leur fonctionnement. On a ensuite changé les noms, remodelé les personnages.

Où s’arrête la réalité ? Où commence la fiction ?

À la différence du documentaire, la fiction permet d’adapter la réalité en restant fidèle et respectueux. Pouvoir raconter la multiplicité des interventions, des arrestations, des fausses pistes sans rompre le secret de l’instruction. Ce que le documentaire ne peut pas faire puisqu’il se doit d’être extrêmement précis et de faire parler les personnages réels, de raconter les faits réels. La fiction a permis de s’approcher de la réalité tout en ayant la distance nécessaire.

Comment avez-vous réussi à garder la juste distance malgré la nature sensible du sujet ?

Je me place en tant que citoyen, en veillant au respect des victimes des attentats, de l’instruction et en gardant un filtre fictionnel. Ce que raconte le film est vrai dans l’apparition des témoins, l’articulation et la progression de l’enquête. On essaie d’être très méticuleux et très précautionneux. Je n’ai pas souhaité mettre en avant la mise en scène. Ce sujet nécessite par essence de la dignité et du respect.

Pendant le tournage, est-il arrivé que l’émotion prenne le pas ?

Il y a forcément une charge émotionnelle particulière. Les acteurs et les techniciens se sont mis au service de ce récit. Sur le plateau, il y a parfois eu une charge particulière dans l’air. Il faut savoir l’accepter et la gérer, ne pas se laisser submerger Il fallait rester très concentré, garder la tête froide. Sans pour autant s’excuser de faire ce film que j’estime nécessaire.

Quelles indications avez-vous donné aux acteurs et actrices ?

Rester dans la fonction. Le film ne va jamais dans l’intimité des personnages. C’est un travail assez particulier de travailler au service de l’histoire plus que pour les personnages en eux-mêmes. J’ai demandé aux acteurs de rester dans l’enquête, de se mettre à la place de ces gens, ils ont un but, ils ne dorment pas, l’enjeu est énorme, la responsabilité est terrible, presque inhumaine, mais la seule façon de la mener à bien est de rester droit et concentré.

Il y a une sobriété dans le récit tout comme dans sa mise en scène…

Beaucoup de sobriété, aucune emphase. On essaie de rester à hauteur, avec sobriété. Que ce soit dans le jeu, dans la mise en scène, dans la musique, dans le montage. De la sobriété et de la droiture.