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Ouverture du 75e Festival de Cannes : le discours de Vincent Lindon, président du Jury

Vincent Lindon - Cérémonie d'ouverture © Jean-Louis Hupé / FDC

La 75e édition du Festival de Cannes s'est ouverte hier soir.

Une Cérémonie engagée, émouvante, tournée vers le monde, et des discours qui vont résonner tout au long des 12 jours de la manifestation, comme celui de Vincent Lindon, président du Jury des longs métrages.

"Seul, réduit à moi même sous les feux de la rampe, condamné à la liberté, je suis profondément ému, fier et bouleversé, de conduire ce jury exceptionnel, empreint d’une gratitude profonde, d’avoir été choisi par Pierre Lescure et Thierry Frémaux, parmi tant d’autres, non moins méritants, mais plus habitués à vivre dans la solitude du travail.

Il serait sans doute logique, ou en tout cas humain, de laisser éclater ma joie d’être devant vous ce soir, pour présider la 75ème édition d’un festival hors-normes, le plus grand festival de cinéma du monde, de célébrer l’événement et de jouir sans entraves de l’honneur qui m’est fait. Mais en ai-je le droit ?
 

Ne devrait-on pas évoquer, depuis cette tribune, qui concentre pour un temps, tous les regards du monde, les tourments d’une planète qui saigne, qui souffre, qui étouffe et qui brûle dans l’indifférence des pouvoirs ? Oui, sans doute. Mais que dire, sinon, de neuf, ou au moins d’utile ?
 

C’est une question à laquelle tous les artistes ont été, sont, et seront confrontés. Doit-on user de sa notoriété, aussi modeste soit-elle, pour porter haut et fort la parole des sans voix, ou, au contraire, refuser d’exprimer publiquement une position dans des domaines où nous n’avons ni légitimité, ni compétence particulière ?
 

Je n’ai pas la réponse !
 

Pour tenter de me mettre en règle avec un sort trop généreux, mal à l’aise dans le confort et les privilèges, même si bien trop humain pour y renoncer, j’ai souvent pris le risque de parler haut , parfois naïvement, pour dénoncer des douleurs ressenties par d’autres, mais qui, si elles épargnaient mes chairs, torturaient ma conscience.

Les seuls engagements incontestables d’un artiste, d’une ou d’un cinéaste notamment, sont sans nul doute, les œuvres auxquelles ils prêtent leurs concours.

Simple acteur, je traverse des personnages qui portent d’autres noms que le mien, exercent d’autres métiers, des puissants parfois, des vaincus plus souvent, car ce sont eux qui m’émeuvent et m’inspirent pour essayer de toucher au cœur. C’est notre métier. Qu’il m’ait valu plus d’honneurs que je n’en mérite, j’en ai pleine conscience. Mais je sais, que, comme tous ceux qui ont eu l’extraordinaire bonheur de pouvoir vivre de leur art, dans une existence libre, nous sommes une composante infime d’un grand tout, essentiel, qui s’appelle la culture. Car la culture n’est pas une aimable excroissance, ni un futile ornement de la société, elle n’est pas en marge, elle en est le centre. Elle en sera le vestige.
 

Que resterait-il du règne de Joseph II sans Mozart, de Louis XlV sans Molière, Racine ou Corneille, de la papauté de Jules II sans Michel-Ange ?
 

Leur place dans l’Histoire, les nations et leurs dirigeants, la doivent d’abord aux liens qu’ils ont su tisser avec des créateurs dont les œuvres subliment le génie humain.

Le Festival International du Film de Cannes prolonge cette tradition séculaire. Né d’une volonté de lutte, contre un fascisme, qui avait dénaturé le cinéma européen, il n’a cessé d’accueillir, de protéger et de réunir les plus grands cinéastes de leur temps.

Ouvert sur toutes les cultures, n’exigeant rien d’autre que l’exigence, ses sélections ont retenu des films dont l’ambition ne se limitait pas seulement à remplir les salles.

C’est la fonction du Festival de Cannes. C’est sa gloire. C’est cette ligne inflexible, artistique et citoyenne, qui rend nécessaire, ce qui, sans cela, serait obscène : projeter des images radieuses en surimpression de celles abominables, qui nous parviennent d’une Ukraine héroïque et martyrisée, ou bien encore, ensevelir sous la mélodie du bonheur, les massacres silencieux qui s’abattent sur le Yémen, ou le Darfour.

Et enfin pour conclure, une question :

Pouvons-nous faire autre chose, qu’utiliser le cinéma, cette arme d’émotion massive, pour réveiller les consciences et bousculer les indifférences ?

Je ne l’imagine pas !

Que la puissance évocatrice et la profondeur des œuvres des grands cinéastes, n’influent pas sur la marche du monde,

Je ne l’imagine pas non plus !

Même si cela revient à écoper, avec un dé à coudre, la coque d’un navire qui se remplit par vagues, notre force c’est que nous y croyons, et que vos œuvres sont immortelles.

Même si parfois, quand l’actualité nous écrase et que le découragement me gagne, je me demande, si nous ne sommes pas en train de danser sur le Titanic…

Peut-être alors, si nous prêtions l’oreille, entendrions-nous, au milieu du vacarme des empires et des nations, comme un tendre et faible bruissement d’ailes, le doux murmure de la vie et de l’espoir.

 

Voici venu le temps des  artistes, des cinéastes responsables, pour nous porter, pour nourrir notre imaginaire, et nous aider, à nous répéter en nous même, chaque fois que nous le pourrons, en hommage à tous ceux qui souffrent et qui se battent dans le monde :  être vivants et le savoir."

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Manifestation

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