Rencontre avec Kelly Reichardt, membre du Jury des Longs métrages

Kelly Reichardt - Membre du jury des Longs Métrages © Stephane Cardinale / Getty Images

Des personnages fragiles, une mise en scène minimaliste. Ces caractéristiques se retrouvent dans Wendy and Lucy, second de ses longs métrages présenté Au Certain Regard en 2008. L’Américaine Kelly Reichardt n’est jamais en surface. Scénariste, réalisatrice et monteuse, collaboratrice de Todd Haynes en 1991 sur son film Poison, elle cumule les talents. Membre du Jury des longs métrages présidé par Alejandro G. Iñárritu, elle évoque sa vision des choses en entretien.

Vous réunissez plusieurs casquettes : scénariste, metteur en scène, monteuse. Quel aspect prend le pas sur l’autre dans votre vie ?
Je monte mes films, je les écris avec un autre scénariste, mais je n’ai jamais écrit un scénario pour quelqu’un d’autre. Les trois aspects vont de pair. J’ai commencé à monter parce que nous n’avions pas d’argent pour embaucher un monteur mais aujourd’hui j’aime énormément le processus. Quand je pense à la façon dont je veux construire une scène, je pense à la fois à la réalisation et au montage. Quand je prépare le film et que j’écris le scénario avec Jonathan Raymond mon coscénariste, je m’accorde un temps avec moi-même pour réfléchir à ce que je fais. Après la réalisation et les nombreuses collaborations qu’elle implique, vous pouvez revenir à vos propres pensées au montage. C’est une partie très agréable du processus même si là, je viens de monter mon dernier film pendant quatre mois et je suis ravie d’être ici à Cannes, c’est rafraichissant.

Quel est le projet que vous venez de monter ? 
Ça va s’appeler First Cow (Première Vache). Le film se passe en Oregon, vers 1820. J’ai fini de couper les images deux jours avant de venir à Cannes et je dois encore faire le mixage et les retouches couleur, mais j’ai terminé le montage.

Ce film tend-il vers l’anticonformisme comme d’autres films de votre facture ? Pensez-vous que vos films sont minimalistes ? 
Je n’y pense pas nécessairement mais quand je suis chez moi aux États-Unis et que je vais voir quelque chose de nouveau, je pense : « Oh mon Dieu, où se situent mes films là-dedans ? » Ils ne sont pas si minimalistes dans mon esprit jusqu’à ce que je les voie dans le monde, aux côtés d’autres films. Je suppose que je tends naturellement vers une volonté de freiner la vitesse folle de toute chose, la quantité d’images et de sons absorbés, car je sens qu’une grande partie de tout cela est mû par une logique consumériste. Je ne veux pas de cela pour ma filmographie, je ne veux pas que ça l’atteigne. Je veux résister, laisser le temps aux gens de trouver ce qu’il y a dans un film. C’est ok de ne pas tout montrer au spectateur. Tout réside dans la différence entre « montrer quelque chose à quelqu’un » et le laisser découvrir, trouver et voir, vivre une expérience différente. Aux États-Unis peut-être que ce n’est pas si courant. Associés à l’idée de « Slow cinema », mes plans sont souvent considérés comme longs alors que nous parlons ici de plans qui ne durent pas plus de 11 secondes. Les choses sont devenues rapides à ce point. 
 

 » Je tends naturellement vers une volonté de freiner la vitesse folle des choses « 

Partagez-vous cette sensibilité avec d’autres réalisateurs ?  
Absolument. Il y a des cinéastes, comme mon ami Karim Aïnouz qui est à Un Certain Regard cette année avec La vie invisible d’Eurídice Gusmão, avec qui nous échangeons sur les films depuis 20 ans. Nos films sont très différents, mais je pense que nous savons regarder le travail de l’autre. C’est l’avantage de prendre de l’âge : vous avez un vécu avec ces gens, et cela permet d’échanger au long cours.

Avec Todd Haynes également ?
Oui, assurément. Cette fois, je montais mon film et Todd tournait en même temps, donc ce n’était pas le bon timing mais habituellement, nous sommes tout à fait impliqués dans le travail de l’autre. J’espère donc que ce sera le cas bientôt. 

Les rapports que l’individu entretient au monde sont au cœur de votre œuvre. Quels sont vos héros ? Sont-ils des anti-héros ? 
Je suppose que l’Amérique n’est pas le seul pays à aimer les héros. C’est un mythe les héros. D’ailleurs ce sont généralement des hommes, j’ai du mal à trouver une femme héros qui se démarque au cinéma. Moi, j'aime les histoires qui parlent de travailleurs, de vraies personnes qui luttent pour subvenir à leurs besoins, pour construire des objets que tout le monde utilise : une route, une maison, un toit. C’est beaucoup plus intéressant à mes yeux. Je ne sais pas si je crois au mythe du héros qui fait tout tout seul. À travers la réalisation, nous œuvrons avec un grand nombre de travailleurs, y compris les assistants de production qui se donnent beaucoup. Je suis moins intéressée par les gens qui se trouvent au sommet de la pyramide.