Rencontre avec Robin Campillo, membre du Jury des Longs Métrages

Robin Campillo - Membre du jury des Longs Métrages © Pascal Le Segretain / Getty Images

Séduit à l’idée d’être retranché du monde pendant la durée du Festival, de voir les films auprès de professionnels qu’il admire, Robin Campillo, membre du Jury des Longs métrages présidé par Alejandro G. Iñárritu, souhaite aussi poser un regard vierge sur la Compétition. Le réalisateur français revient sur le succès de 120 Battements par minute, Grand Prix en 2017 et œuvre fictionnelle sur les années Act Up. Parmi ses obsessions de réalisateur figurent les acteurs, les décors et la musique. Entretien.

Quelle a été votre réaction devant l’enthousiasme provoqué au Festival par 120 Battements par minute ?
Pour être honnête j’ai tout fait pour que le film soit en Compétition. Pas tellement pour avoir un prix mais surtout parce que l’on sait que pour un film comme celui-ci, c’est une chance d’être vu extrêmement importante. Après, quand je suis arrivé ici, j’ai mal vécu le fait d’être exposé à ce point-là. Cela m’a perturbé, même si je dois dire que la projection est l’un des plus beaux souvenirs de ma vie. C’est quand même une sensation très forte : je trouve que tout était trop haut, la fatigue du travail, l’émotion des gens, ma joie après, etc., c’était vraiment très étrange.

Comment choisissez-vous vos acteurs, ont-ils besoin d’épouser les causes que vous défendez ?
A partir du moment où je trouve le bon acteur, je suis prêt à tuer pour que ce soit lui. Ils ont surtout besoin d’être incarnés, d’incarner les personnages. L’incarnation, c’est LA question pour moi. Depuis Eastern boys (2013), mon film précédent, deux choses m’obsèdent : les acteurs et les lieux. Donc je passe un temps infini en repérage et en casting. Par exemple, pour Antoine Reinartz, un acteur que je considère comme immense (il joue le président de l’association dans 120 Battements par minute), je voyais qu’il avait déjà un savoir-dire de militant. Il avait cette manière de parler que je n’avais plus à inventer. J’avais écrit des dialogues invraisemblables et il les disait comme s’il respirait. 

Nahuel Pérez Biscayart (César du meilleur espoir masculin pour 120 Battements par minute) est argentin mais, même s’il parle parfaitement français, je voyais qu’il surjouait un tout petit peu quand il faisait le militant, c’était un peu théâtral. Mais finalement ils étaient comme ça à l’époque, dans ces réunions, et derrière la théâtralité, il y avait la douleur. Cet écart-là, il est le seul qui arrivait à l’incarner.

Arnaud Valois est également un acteur très important pour moi. Il a une façon de jouer très droite, contrairement à Nahuel qui est un acteur baroque. Il est très constant dans sa manière de jouer, très intériorisé, et c’était très important d’avoir un acteur comme lui pour jouer un nouveau venu dans l’association, qui a une espèce de sincérité. Arnaud montre une attention aux autres dans la vie qui est exactement ce que je recherchais pour le personnage de Nathan. Une gentillesse qui cache, et c’est ce que j’ai adoré, une forme de désespoir. 
 

 » J’ai besoin que les acteurs incarnent les personnages. L’incarnation, c’est LA question pour moi. « 

Vous dites que vous accordez aussi une grande importance aux décors, aux lieux de tournage ?
En effet. Le lieu de tournage est comme un organisme, un corps autour des corps. Il n’y a pas une fenêtre, il n’y a pas une porte qui ne soit placée à un endroit sans raison. 120 Battements par minute, par exemple, raconte des gens qui sont dans une pièce, dans un amphithéâtre, qui rêvent de choses, et on voit ce qu’ils rêvent. On va jeter du sang. Et on voit la scène. Donc c’est comme un cerveau. Et les actions sont comme des fantasmes, des images qui surgissent de ce cerveau. Je voulais un amphithéâtre car j’aimais l’idée de l’affrontement entre les gens d’en haut qui résistent, et ceux d’en bas qui ont le pouvoir. J’avais trouvé le lieu mais il y avait des fenêtres. Et j’ai fait mettre des panneaux acoustiques pour les cacher. D’un seul coup, je suis en phase avec le lieu, j’ai les bons acteurs et ce que j’espérais va pouvoir fonctionner sans trop de mise en scène. Avoir les bons lieux, c’est une excitation de réalisateur. J’ai l’impression que j’ai composé, sans trop manipuler les choses, une sorte de tableau qui m’enchante.

Et qu’en est-il de la musique ?

Je suis monteur et je travaille beaucoup les sons, aussi au montage. Je monte la musique en même temps que les autres sons. Je la monte en éclaté, c’est-à-dire en multipistes afin d’isoler un violon etc, pour pouvoir remixer avec les autres sons du film. C’est très important pour moi. J’ai un lien très fort à la musique que je ne saurais expliquer, et je fais composer les morceaux à Arnaud Rebotini très en amont. En lui, j’ai trouvé un frère de musique et de cinéma, ses harmonies me touchent, son approche un peu floue de la mélodie m’intéresse beaucoup et j’aime beaucoup son côté chatoyant. J’ai besoin par moments de ce baroque là. Et il est vrai que j’aime beaucoup alterner des scènes très lyriques avec des scènes très sèches.