CHACUN SON CINEMA, le film du 60e anniversaire du Festival de Cannes

Les temps changent. Puis ils reviennent à leur point de départ, enrichis par leurs propres métamorphoses. Quand, il y a plus d’un an, nous nous sommes demandé comment
fêter le 60ème Festival de Cannes, nous étions sûrs d’une chose : pas de retour sur le passé, de commémoration
mortifère, d’autocélébration béate, rien de ce qui rend l’avenir encore plus intimidant.

Les anniversaires ont ceci de bénéfique qu’ils permettent réflexion et nouvel élan. Elan pour revitaliser chacune de nos actions, au-delà même de cette
année symbolique. Dynamisme de nos choix artistiques incarnés par notre future affiche. Resserrement de nos programmes afin de mieux encore mettre les œuvres en valeur.
Plaisir d’une nouvelle salle. Puis, une idée, très vite, s’est imposée : rassembler les artistes. Ceux qui ont le mérite – et il n’est pas mince aujourd’hui – de
faire avancer le cinéma en tant qu’art. Ceux qui ont fait confiance à Cannes et que Cannes a aidés. Ceux qui étaient libres et avaient envie de donner de leurs
nouvelles par la voie du cinéma. En un mot, fêter soixante ans de création par une création. De la sorte, le festival ne saluerait pas les 60 ans
écoulés mais les grands cinéastes qui s’y retrouvent une fois l’an, le lieu où l’esprit souffle où il veut comme disait Robert Bresson souvent
évoqué dans le film qui se prépare, le foyer où peut encore s’embraser l’étincelle artistique quand la lumière s’éteint et que le film
commence…

Un film donc, mais quel film? L’idée du film à sketches ne date pas d’aujourd’hui et l’histoire du cinéma fourmille de vignettes plus ou moins réussies : Les 7
péchés capitaux, Les baisers, Les plus belles escroqueries du monde, Paris vu par…,
sans oublier, tout récemment, Paris, je t’aime.

En l’occurrence, cette fois-ci, il s’est agi de rassembler un groupe de créateurs, tous universellement reconnus, représentant à la fois leur pays et une conception
orgueilleuse du cinéma, pour une promenade autour d’un thème unique, tremplin de leur inspiration. Venus des 5 continents, et de 25 pays, ces 35 réalisateurs livreront, en
chacun 3 minutes, leur actuel état d’esprit inspiré par La salle de cinéma – seconde contrainte, mais aussi, bien sûr, promesse de Paradis ! Promenade de famille
à travers les souvenirs, les chimères, les éclats de rire, les cris d’alarme, les émotions aussi. La nouveauté de la forme vient de son extrême
morcellement et de la plaisante douceur de sa légèreté. Cette écriture n’est pas une répétition en chaîne dans des salles dont la
diversité d’aspect surprendra, mais plutôt une série de rencontres improbables – Wenders a filmé au Congo, Tsai Ming Liang à Kuala Lumpur et Cronenberg
aux…toilettes ! Aucun réalisateur n’a eu connaissance des autres fragments, ni même des synopsis de ses confrères. Ils ont accepté de les découvrir en
même temps que les festivaliers, le 20 mai, ainsi que le public, une diffusion étant programmée le même soir à la télévision1.

Forment-ils une école? Non, même si l’ensemble visite le cœur des choses, ce sont des individualités qui expriment leur orientation esthétique, des
poètes qui captent une parcelle du monde et qui le transfigurent, ce monde, à leur manière. Ils sont bien vivants, ils travaillent, ils ne sont pas dupes, ils participent
d’un art, le cinéma, qui sous nos yeux crée sa propre histoire. La modestie du budget alloué à chacun les a incités à se montrer inventifs, inattendus,
blagueurs, tendres, cyniques, contemplatifs, drôles, émouvants ou provocateurs, mais aussi accessibles et délurés. C’est en pensant à cette
variété de cultures, d’origines et de talents que nous avons donné à ce long métrage le titre de Chacun son cinéma. Espérons que cette
aventure, peut-être pas sans lendemain, donnera envie de voyager en compagnie de cinéastes qui n’ont pas fini d’étonner ni de renouveler la création. Mais n’est-ce
pas l’une des fonctions de l’art?

Gilles Jacob

*Ce sont Theo Angelopoulos, Olivier Assayas, Bille August, Jane Campion, Youssef Chahine, Chen Kaige, Michael Cimino, Ethan & Joel Coen, David Cronenberg, Jean-Pierre & Luc Dardenne,
Manoel De Oliveira, Raymond Depardon, Atom Egoyan, Amos Gitai, Hou Hsiao Hsien, Alejandro Gonzalez Iñarritu, Aki Kaurismaki, Abbas Kiarostami, Takeshi Kitano, Andrei Konchalovsky, Claude
Lelouch, Ken Loach, Nanni Moretti, Roman Polanski, Raoul Ruiz, Walter Salles, Elia Suleiman, Tsai Ming Liang, Gus Van Sant, Lars Von Trier, Wim Wenders, Wong Kar Wai, Zhang Yimou.

1 sur la chaîne Canal +