Leçon de cinéma : Martin Scorsese

Leçon Scorsese © Déborah Corcos

Pour cette nouvelle Leçon de cinéma, Martin Scorsese a fait face à une salle Debussy bondée, toute acquise à la cause du cinéaste américain, qui
passa en revue l’ensemble de sa carrière. Ses interventions furent entrecoupées de six extraits de ses films. Révélé par Mean Streets
– sa première collaboration avec Robert De Niro, son acteur fétiche -, couronné par une Palme d’Or à Cannes en 1976 pour Taxi Driver et
oscarisé en 2007 pour Les Infiltrés, le cinéaste compte parmi les maîtres incontestés du cinéma moderne.

Asthmatique, Martin Scorsese n’a pas pu vivre une enfance normale, privé de sport et d’activités de plein air. Ce sont ses parents qui l’initièrent au
cinéma : « Mon père et ma mère étaient issus d’un milieu populaire et ne lisaient quasiment jamais. Et la seule chose qu’ils pouvaient faire
avec moi était d’aller au cinéma. Le lien entre le cinéma et moi s’est donc fait à travers mes parents. C’est certainement ce lien affectif qui a
transformé ma passion pour le cinéma en obsession. A l’âge de 11 ans, j’ai vu Règlement de comptes avec Lee Marvin et Gloria Graham, et
A l’Est d’Eden, un film pour lequel je voue un véritable culte, une authentique obsession. A un certain moment, j’en suis venu à me demander
pourquoi j’éprouvais telle ou telle impression en voyant un film. Et j’ai commencé à remarquer une position de caméra ou le jeu d’un acteur. Par
exemple, dans Bonnie and Clyde, Gene Hackman reçoit une balle dans l’œil. Je croyais qu’il y avait un zoom sur ce plan. Puis j’ai revu le film,
et je me suis aperçu qu’il s’agissait d’un plan moyen. Pourquoi avais-je cru voir un zoom ? Etait-ce dû au son, au montage, à la position du revolver dans
le cadre ? Toutes ces réflexions m’ont permis de comprendre que les images pouvaient à elles seules raconter une histoire. »

Martin Scorsese est ensuite allé à la New York University, mais, à cette époque, les cursus de cinéma n’existaient pas vraiment, il y avait seulement
des sections au sein des universités : « Vous n’avez pas vraiment besoin de faire d’écoles de cinéma pour comprendre une image. Il vous suffit
d’ouvrir les yeux. Pour moi, c’est la seule façon d’apprendre le cinéma. Et il faut aussi avoir un côté obsessionnel, j’en suis
persuadé. Il faut que la volonté de réaliser un film surpasse tout, qu’elle devienne la chose la plus importante de votre vie. J’ai reçu deux bourses
pour mes courts-métrages, et ça été déterminant pour moi. Mes parents disaient : « Il est moins fou depuis que des gens ont commencé à
aimer ses films. »

A propos de ses inspirations, Martin Scorsese s’étend longuement : « L’influence du cinéma européen à la fin des années 50 et au
début des années 60 a été déterminante. D’abord le cinéma français avec Truffaut, Rivette, Godard et les autres, puis le cinéma
italien, qui contredisait tous les codes narratifs en vigueur à Hollywood… Ils nous ont fait comprendre qu’on pouvait raconter les histoires autrement. »
Puis le
réalisateur évoque Mean Streets : « Ca m’a pris trois ans pour réaliser le film. A l’époque, Harvey Keitel était script
de courts-métrages. Après trois semaines de tournage, nous n’avions plus d’argent. Je l’ai rappelé six mois plus tard. J’ai alors compris
qu’un tournage était un marathon… C’est ce que j’ai appris au contact de Roger Corman. J’y ai aussi acquis une discipline, et appris à faire mon
travail en toutes circonstances, y compris lorsque je n’en avais aucune envie. Il m’a appris à boucler un film en 24 jours. »

Brian De Palma lui a présenté Robert De Niro : « C’était à un dîner de Noël, il parlait des gens qu’il connaissait, et je me suis
souviens de lui. En fait, je connaissais De Niro de vue depuis ses 16 ans. Il avait l’habitude de fréquenter l’équipe avec laquelle j’avais réalisé
Who’s That Knocking at My Door. Et il connaissait les personnes avec qui je prévoyais de faire Mean Streets. Je n’ai su que bien des années
plus tard que son père était peintre et que nous venions de milieux bien différents. »

Sur les story-boards et la façon de combiner l’improvisation avec les exigences de la narration : « Ma passion pour les story-boards participe de ma nature
obsessionnelle. Enfant, comme je n’avais pas encore les moyens de recruter de grosses équipes techniques, je dessinais mes films plutôt que de les réaliser. La
première chose que je dessinais était les génériques du début et de fin. Plus tard, j’ai dû recourir au story-board pour des raisons de budget.
Lorsque vous ne disposez que de très peu pour réaliser un film, il faut savoir exactement ce dont vous aurez besoin. C’est sécurisant. Quant à
l’improvisation, tout dépend de la nature de la scène, des angles de caméra et de vos comédiens. »

A propos des mouvements d’appareil, dont Scorsese est particulièrement friand : « J’ai commencé à prendre conscience des mouvements d’appareil
lorsque j’ai compris comment les scènes étaient construites et comment les déplacements de la caméra agissaient sur le spectateur que j’étais.
J’en ai pleinement compris l’utilité en voyant les comédies musicales hollywoodiennes, les films de Fellini et les réalisations de la Nouvelle Vague. Je crois
que tout est lié à la chorégraphie. »

Sur le noir et blanc utilisé pour tourner Raging Bull (1980), un film initié et développé par Robert De Niro : « Il y a plusieurs raisons
à ce choix. La première est que la pellicule couleur se détériorait plus rapidement que prévue, elle virait au magenta au bout de huit ans. La deuxième
est que l’arrivée de la couleur avait condamné les cinéastes à ne plus réaliser que des films en couleurs, sacrifiant le noir et blanc. La
dernière raison est qu’à la même période, quatre grosses productions sur la boxe, dont Rocky, étaient déjà sorties sur les
écrans. Il fallait donc à tout prix se démarquer. »

A propos du tournage de la comédie After Hours (1985) : « Je n’imaginais pas à quel point tourner une comédie absurde était
difficile. Mais j’ai aimé chaque journée de tournage. C’est comme pour Les Infiltrés. Au départ, je ne voulais pas vraiment le
réaliser, mais quelque chose de l’ordre de la compulsion m’a obligé à le faire. »

Avec Le Temps de l’Innocence (1993), Martin Scorsese s’attaque à un nouveau langage et change de registre : « Je voulais imprégner tout le
film du langage utilisé dans le livre. Vous ne pouvez pas transposer l’intégralité d’un roman à l’écran mais vous pouvez en capter
l’essence… Je souhaitais également utiliser le langage comme une bande originale opère sur le spectateur, comme si une autre voix venait se superposer à celles
des comédiens. J’ai adoré tourner en Cinémascope mais je n’ai pas su utiliser à plein ses possibilités. Nous expérimentions beaucoup. De
même pour la couleur. Nous utilisions les tableaux et leurs couleurs pour les fondre avec sensualité dans l’univers que nous dépeignions. »

Photo Copyright Déborah Corcos