RENCONTRE – Carole Bouquet : « J’ai gardé le regard émerveillé de l’actrice débutante que j’étais »

Carole Bouquet - Photocall © AFP

Les années passent mais sa beauté reste éternelle. À 56 ans, Carole Bouquet peut se flatter d’avoir travaillé avec les plus grands. Luis Buñuel, Francis Ford Coppola ou encore Werner Schroeter ont eu l’opportunité de la diriger. En 1990, elle décroche le César de la meilleure actrice pour Trop Belle Pour Toi, de Bertrand Blier. Sa carrière s’est également en partie jouée à Cannes, où elle venue présenter cinq films et endosser le rôle de maîtresse de cérémonie en 1995. Rencontre avec une amoureuse de cinéma.

 

Quel souvenir gardez-vous de votre premier rôle, décroché pour Cet obscur objet du désir, de Luis Buñuel ?
Il m’en reste un souvenir extraordinaire. D’un côté, je garde l’image d’un immense trou noir car une peur terrible m’habitait. C’était mon premier film et j’étais encore dans l’apprentissage de mon métier. J’étais pétrifiée. De l’autre, je savais que je travaillais avec l’un des plus grands maîtres du cinéma, et il m’avait attribué le premier rôle !

 

À quel moment peut-on dire d’une actrice qu’elle est épanouie ?
Quand il ne fait plus aucun doute qu’elle prend du plaisir sur un plateau. Tout dépend de sa personnalité, mais cela peut venir très vite. Pour moi, cela a pris quelques années. Une fois que j’ai commencé à moins avoir le trac, j’ai senti que je commençais à m’épanouir. Je jouais mieux car j’étais libérée de la souffrance de mon corps. C’est au moment où l’on s’amuse que dans ce métier, tout devient merveilleux.

Quel réalisateur a donc vu éclore l’actrice que vous êtes ?
Pour moi, tout a commencé sur le Jour des Idiots (1981), de Werner Shroeter, qui a été présenté en Compétition à Cannes. Lors du tournage, j’ai commencé à voir dans les yeux des techniciens que ce que je voulais faire, ils en avaient conscience. C’était signe que tout fonctionnait bien et cela m’a rassuré. Ensuite, le tournage du film au cours duquel j’ai ressenti le plus de plaisir, c’est celui de Trop Belle Pour Toi (1989), de Bertrand Blier. Là, chaque jour était une vraie joie. Je ressentais une liberté totale.

Le cinéma peut constituer un refuge pour le spectateur. L’est-il pour vous ?
Bien sûr. Le cinéma parle du monde et c’est ce qui m’enchante le plus. En même temps, il navigue dans une bulle hors du monde car c’est de cette manière qu’il peut le mieux le raconter. Pour résumer, nous autres acteurs vivons dans un univers imaginaire qui évoque la réalité. Quel que soit le scénario, il ne faut jamais oublier que nous sommes là pour faire du cinéma.

Vous vous y sentez protégée ?
Je me sens très protégée sur un plateau de cinéma. C’était beaucoup moins le cas au début de ma carrière, mais maintenant, je le suis incroyablement. Sur une scène de théâtre aussi. Ce qui n’est peut-être pas très raisonnable !

 

Carole Bouquet © ABACA

 

Y-a-t-il un personnage que vous avez interprété et qui vous hante encore ?
Non, car pour moi, ces personnages ne font que passer. Il y en a des plus doux que d’autres, des plus joyeux que d’autres, mais aucun ne me torture par la suite.

Quel rôle a joué sur votre progression votre passage à New York, notamment aux côtés d’artistes tels Andy Warhol ?
Cette période a surtout beaucoup apporté à ma vie de femme. À ce moment-là, il existait à New York une liberté totale. J’étais entourée de gens immensément productifs artistiquement. J’étais déjà très privilégiée et pourtant, je n’avais que vingt ans. En revanche, je ne sais pas si cette période a influencé mon jeu d’actrice. En tout cas, elle m’a ouvert les yeux sur l’importance pour moi de poursuivre ma carrière en France. N’étant pas américaine, je n’aurais eu que des rôles de potiche. À cette époque-là, il me fallait encore apprendre mon métier. Je devais vaincre ma peur et pour cela, il me fallait progresser dans ma langue maternelle. Je suis donc rentrée au bout d’un an, après une année de fête.

Quelle fonction le cinéma doit-il remplir selon vous ?
Le cinéma est pour moi comme un trou de serrure au travers duquel on peut découvrir tout ce qui se passe dans le monde. J’ai grandi et découvert la vie à travers le cinéma. Les films doivent aussi s’engager et ceux que nous allons voir sont à mon avis très engagés. Le cinéma reste un art pour moi.

Votre carrière vous a porté au sommet du cinéma français. Que vous reste-t-il encore à accomplir ?
Tellement de choses. J’ai cette impression de n’avoir rien fait ! Je ne ressens plus cette peur qui m’habitait lorsque j’étais une actrice débutante. Mais j’ai gardé son regard, ainsi que celui de la jeune femme que j’étais. Je reste encore émerveillée.
 

Propos recueillis par Benoit Pavan